L'Obs

Dr François et Mr Ozon

L’AMANT DOUBLE, PAR FRANÇOIS OZON. COMÉDIE DRAMATIQUE FRANÇAISE, AVEC MARINE VACTH ET JÉRÉMIE RENIER (1H47).

- JÉRÔME GARCIN

Trois mois après le remake de « Léon Morin, prêtre » (« la Confession »), où elle incarnait une jeune communiste tombée folle amoureuse d’un curé en soutane, Marine Vacth ne va pas mieux. Mais, dans « l’Amant double », où Dieu est freudien, c’est à un psychothér­apeute en pull qu’elle choisit de se confesser. Chloé est une beauté maladive, une grâce dépressive. Elle souffre d’elle ne sait quoi, et c’est son ventre qui gémit, se convulse et crie grâce. Paul, le psy (Jérémie Renier), l’écoute sans rien dire, jusqu’au jour où il décide de mettre fin aux séances : la séduction qu’elle exerce sur lui rend la thérapie impossible. Du moins autorise-t-elle leur prévisible accoupleme­nt. Chloé croit alors être sortie d’affaire. La preuve, son ventre se calme. Seulement voilà, elle découvre que Paul lui a caché sa part obscure. Il a un jumeau monozygote, avec lequel il est brouillé à mort, et qui exerce dans le même Paris des beaux quartiers le même métier de psychothér­apeute. Chloé va donc aimer les deux, l’un avec équanimité, l’autre avec bestialité. Elle s’embourgeoi­se avec son compagnon pour mieux s’ensauvager avec son double. Et ce n’est pas un boulot dans un musée d’art moderne, où elle garde de gigantesqu­es oeuvres utérines et sanglantes, qui va l’aider à retrouver l’équilibre. Déchirée et sonnée, Chloé descend méthodique­ment aux enfers. On n’en dira pas davantage. Car déflorer le sujet de ce thriller psychanaly­tique, c’est lui enlever tout son sens.

Adapté d’un polar, paru sous pseudonyme, de Joyce Carol Oates, le 17e film de François Ozon est une plongée hallucinan­te et hallucinée dans la tête d’une femme qui, pour une cause dont l’épilogue livrera le douloureux secret, a quitté, sans espoir de retour, le monde réel. Plus elle se réfugie dans le fantasme, s’échappe par le délire, et plus Ozon filme, avec une rigueur de géomètre et des plans d’architecte, cette fuite névrotique. Comme s’il voulait raisonner ce que la raison ignore et encadrer, pour la rendre supportabl­e, une tragédie originelle. Car « l’Amant double », à la fois séance d’exorcisme et scène d’accoucheme­nt, montre la gémellité parasite dans ce qu’elle a de plus monstrueux. On admire néanmoins la manière dont Jérémie Renier réussit, le plus naturellem­ent du monde, à se scinder en deux, l’art aussi avec lequel Marine Vacth parvient à être si séduisante et si ravagée. Jamais le cinéaste de « Sous le sable » et de « Dans la maison » n’a mieux exprimé que dans ce film horrifique sa propre dichotomie et stigmatisé sa personnali­té multiple. Ozon le diabolique.

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Jérémie Renier et Marine Vacth.

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