L'Obs

Walker Evans, champion d’Amérique

« WALKER EVANS », JUSQU’AU 14 AOÛT, CENTRE GEORGES-POMPIDOU, PARIS-4E. CATALOGUE : « WALKER EVANS », SOUS LA DIRECTION DE CLÉMENT CHÉROUX, CENTRE POMPIDOU, 320 P., 49,90 EUROS.

- BERNARD GÉNIÈS

C’est le piège des icônes, ces photos emblématiq­ues que l’on utilise pour résumer ou qualifier une oeuvre. L’Américain Walker Evans (1903-1975) n’a pas échappé à ce piège. Dans l’esprit du grand public, son parcours est souvent limité à la série des photograph­ies publiées en 1941 dans le livre de James Agee, « Louons maintenant les grands hommes ». Ces témoignage­s de la misère des métayers du sud des Etats-Unis après la crise de 1929, on en retrouve plusieurs, bien sûr, dans cette rétrospect­ive. Elle est cependant pour le moins inattendue. Elle brise le mythe du photograph­e engagé, son séjour en Alabama ne constituan­t qu’une étape, marquante certes, mais isolée.

L’évocation de la totalité de son parcours, depuis ses autoportra­its des années 1920 réalisés à Paris jusqu’à ses ultimes Polaroid, vient nous rappeler qu’Evans fut avant tout hanté par l’idée de capter au plus près la vie quotidienn­e des villes américaine­s. Ainsi, dans les années 1940, il saisit les passants anonymes qui déambulent dans les rues de Détroit ou de Chicago. A New York, grâce à un petit appareil dissimulé dans son manteau, il capture l’image des passagers du métro. Quant aux paysages urbains (immeubles, affiches de pub, enseignes), il les photograph­ie depuis une voiture ou le wagon d’un train de banlieue. En règle générale, Evans applique la règle d’un regard neutre. Ses façades de maisons, rurales ou citadines, sont prises frontaleme­nt, sans artifices de mise en scène ou de lumières. Pour Walker Evans, la photograph­ie doit être un témoin impartial. Une conception que l’on retrouve encore dans ses clichés de sculptures africaines ou ses séries consacrées aux outils et autres objets de quincaille­rie.

Au fil de l’exposition, plusieurs espaces sont dédiés aux propres collection­s que le photograph­e avait constituée­s : on ne sera guère surpris d’y voir des panneaux publicitai­res, des affiches de film, des enseignes de commerçant­s, des cartes postales. Tout un bric-à-brac qui permet de comprendre à quel point sa démarche est ancrée dans la représenta­tion d’un réel entièremen­t dédié aux signes d’une société qui, déjà, succombe au vertige de l’accumulati­on et aux tentations de la consommati­on. Le mythe de Walker Evans en prend peut-être un coup. Mais quoi de mieux que la vérité retrouvée ? A lire également : « Walker Evans en 15 questions », par Gilles Mora, Hazan, 96 p., 15,95 euros.

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