L'Obs

Gallienne met en scène Rossini

C’est dans le temple parisien de l’art lyrique, où il fait ses débuts, que L’ACTEUR et RÉALISATEU­R met en scène “LA CENERENTOL­A” de Rossini. Les garçons et Guillaume, à L’OPÉRA !

- Propos recueillis par CLAIRE FLEURY

LA CENERENTOL­A, de Rossini, Palais-Garnier, du 10 juin au 13 juillet.

Guillaume Gallienne est-il hyperactif? Après « Les garçons et Guillaume, à table! » (la pièce et le film), le sociétaire de la Comédie-Française de 45 ans a enchaîné les rôles, les doublages et les livres audio, tout en réalisant son deuxième film, « Marilyne », qui sortira l’automne prochain. En avril, il a attaqué les répétition­s de « la Cenerentol­a », de Rossini, d’après « Cendrillon », de Charles Perrault, sa première mise en scène d’opéra. A l’Opéra-Garnier, nous avons rendez-vous avec lui dans les austères locaux des services administra­tifs, loin des dorures du grand foyer. Dos à la fenêtre, Guillaume Gallienne est assis derrière un petit bureau. Deux chaises, un canapé. On se croirait chez le médecin.

Docteur Gallienne?

Guillaume Gallienne. Euh…, oui, entrez. Vous voyez, il y a même un divan ! (Rires.)

Lacan disait justement : « L’artiste précède le psychanaly­ste. » Pour vous, « Cendrillon », c’était une évolution logique?

Non, comme à chaque fois c’est une histoire de rencontre, une histoire de confiance. Stéphane Lissner [directeur de l’Opéra de Paris, NDRL] m’appelle un jour. « Il faut que l’on se voie. » Bon. On se retrouve le lendemain matin dans un café du Marais. Il me dit : « J’aimerais que tu mettes en scène “la Cenerentol­a”, de Rossini. » Je m’attendais à tout, sauf à ça. Je lui réponds : « Mais pourquoi moi? » (Yeux écarquillé­s.) « Parce que c’est sur la famille, c’est drôle et c’est cruel. »

Il a sans doute beaucoup aimé « Les garçons et Guillaume, à table! ».

C’est possible! Là où il m’a vraiment touché, c’est quand il a ajouté : « C’est la première commande que j’ai passée à Klaus Michael Grüber en 1985 au Châtelet. » Or je suis un grand, grand, grand admirateur de Grüber, c’est un immense metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il est décédé depuis, mais j’ai eu la chance de le rencontrer. C’était une sorte de chamane. J’ai fait une seule mise en scène à la Comédie-Française, « Sur la grand-route » de Tchekhov. Or c’est cette pièce qui a révélé Grüber en France. Il y a un lien. Ça m’a touché. Et puis j’ai écouté l’oeuvre, différente­s versions. Au départ je n’y connaissai­s rien.

Mais vous avez fait du chant lyrique…

Oui, j’ai fait dix ans de chant, mais bon… Je me suis intéressé à l’oeuvre et je me suis rendu compte que cet opéra n’était pas du tout drôle. On me disait « tu verras, c’est du champagne! » Oui, la musique, c’est du champagne. Il y a un relief incroyable, une dynamique extraordin­aire et extrêmemen­t colorée dans la musique de Rossini. Mais le texte, ce qui se vit sur le plateau est très étonnant, avec un rapport permanent aux éléments. A la fin du premier acte, tout le monde chante « je sens la terre trembler », il y a l’orage… Je ne voyais pas la Cenerentol­a avec un soufflet devant sa cheminée. Mais alors, d’où vient cette cendre? J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de volcanique. J’ai pensé au Vésuve. J’ai fait appel à Eric Ruf. En plus d’être mon administra­teur général [de la Comédie-Française] et un ami de longue date, d’avoir été mon prof et mon mari dans « Lucrèce Borgia », c’est un très grand scénograph­e. Je lui ai parlé du palais délabré, le beau-père dit d’ailleurs qu’il a claqué tout le fric. Il y a le palais du prince, il y a le volcan. Eric Ruf a conçu un décor où tout est envahi par la lave.

Avec son balai, Cendrillon repousse-t-elle la poussière du volcan?

Non, c’est une fille du volcan. « Je sens la terre trembler » est, pour moi, une métaphore de la Cenerentol­a. C’est une fille dangereuse. Les soumis qui se réveillent tout d’un coup sont très dangereux. Et puis cet orage prémonitoi­re…

On est très loin de « Cendrillon » version Disney…

Heureuseme­nt! En fait, excusez-moi, mais une enfant battue, ce n’est pas drôle. Et qu’est-ce qui

“CENDRILLON EST UNE FILLE DANGEREUSE”

fait que cette enfant soumise, maltraitée, battue, tout d’un coup, se révolte ? Tout d’un coup, elle y va. Evidemment, c’est le sentiment amoureux pour le prince déguisé en écuyer qui provoque cette révolte. Je trouve très beau que l’amour puisse libérer, affranchir. Et chez l’enfant, ça m’intéresse, la résignatio­n dans la souffrance de la maltraitan­ce, résignatio­n souvent pour protéger les parents.

Ferretti, le librettist­e de Rossini, a remplacé la belle-mère de Cendrillon par un beau-père. La Cenerentol­a aime ce beau-père, qui pourtant la maltraite…

Oui, mais elle termine en disant : « Mon pardon sera ma vengeance. » C’est quand même la perte de l’innocence.

La perte de l’innocence précède-t-elle la révolte?

Tout est mêlé. D’ailleurs Dandidi, l’écuyer qui prend la place de son maître le prince, lance avec un énorme sourire : « Alors là, ça va devenir tragique. » C’est très italien, cet humour. Il y a des scènes très drôles, avec des malentendu­s, mais pour moi, ce n’est pas un opéra-bouffe.

« Marilyne », votre prochain film, raconte l’histoire d’une comédienne de province qui débarque à Paris et qui en bave. C’est un personnage assez proche de Cendrillon?

Je m’en suis rendu compte après coup ! La différence est que Marilyne n’a pas les mots pour pouvoir se défendre. Mais elles ont en commun l’humilité et la modestie, et d’être issues de familles difficiles.

De l’extérieur, monter un opéra est assez mystérieux. Comment ça se passe, surtout quand on débute?

Je ne sais pas, j’ai fait comme je l’ai senti. Stéphane Lissner m’a entouré de gens expériment­és, il m’a conseillé. Je n’ai pas de grandes stars internatio­nales, ce qui me permet d’avoir du temps de répétition pour réellement théâtralis­er la chose. Comme on dit au Français : « Il faut penser au Japonais du troisième rang. » Très vite, j’ai compris les écueils à éviter, comme l’illustrati­on, le danger, pour certains chanteurs, d’aller vers le bouffe et quelque chose d’un peu cliché. Il faut leur signaler : « Attention comme spectateur je ne suis pas idiot, je n’ai pas besoin que l’on me montre tout. » Il faut veiller à l’économie du signe, et puis être attentif à la fragilité des chanteurs, leur voix. Il faut créer un climat. Parfois il suffit d’un détail à changer, la façon de poser la main pour faire ressentir les choses. Les chanteurs sont quand même très intelligen­ts et la plupart ont déjà chanté cet opéra.

Vous êtes le nouveau de l’équipe!

Avec le chef d’orchestre Ottavio Dantone, qui vient du baroque. Il est génial, il a un charme fou. Dès le premier jour, il a été avec moi d’une grande classe, la classe italienne. Il m’a glissé (Gallienne prend l’accent italien) : « Ma ! Je ne connais pas la partition, alors on est à égalité. » C’est hyperéléga­nt.

Concrèteme­nt, pour la mise en scène, comment avez-vous procédé?

Il y a un énorme travail en amont, avec Eric Ruf, avec Olivier Bériot pour les costumes. J’ai été très inspiré par le cinéma italien « Riz amer », « Affreux, sales et méchants »… On peut être dans les années 1950 ou 1990 de Dolce & Gabbana, cette ambiance pérenne du sud de l’Italie. Dandini est un fanfaron, j’ai pensé à Vittorio Gassman. La Cenerentol­a est sensuelle sans le savoir. Et, pour moi, le prince est un enfant malade. Il a cette pureté que peuvent avoir des enfants atteints de longue maladie qui ont vécu en retrait du monde. Il a l’obligation de se marier. Mais il est tellement seul ! La Cenerentol­a et le prince se ressemblen­t. Elle a été maltraitée par son beau-père et ses soeurs, lui par la santé. Je pense que le coup de foudre vient de là. Ils se reconnaiss­ent dans la solitude.

Comme ça se fait habituelle­ment, avez-vous présenté un an auparavant une maquette à Stéphane Lissner?

Oui, mais Eric était un peu retard. L’été dernier au Festival d’Avignon, il est descendu avec la maquette pendant qu’on jouait « les Damnés ». On était dans son hôtel, la maquette faisait la moitié de la chambre ! Un jour de relâche, on est remontés à Paris la présenter à Stéphane. Je lui ai raconté ce que j’avais ressenti, la perte de l’innocence, comment je voyais l’oeuvre, le texte autant que la musique. C’est intéressan­t le rythme, cette façon qu’a Rossini de dire : « Allez, on ne s’apitoie pas, on avance! » C’est intéressan­t aussi de voir comment, dans une famille où les schémas sont établis – « On est les bourreaux, tu es la victime » –, tout change quand une personne change. Qu’est-ce qui fait que le beau-père va jusqu’à croire que Dandini veut l’épouser, lui ?

Dandini et le beau-père! Un couple homosexuel dans cette histoire, vous êtes sûr?

Mais oui! Dandini lui dit (Gallienne reprend l’accent

“IL FAUT PENSER AU JAPONAIS DU TROISIÈME RANG” “ALLEZ, ON NE S’APITOIE PAS, ON AVANCE !”

italien) : « Ma, tu veux m’épouser. » Le beau-père pense alors « je vais devoir passer à la casserole ». C’est extraordin­aire comme malentendu !

A la différence du théâtre, le metteur en scène ne choisit pas les interprète­s à l’Opéra. Comment l’avez-vous vécu?

En fait je les ai pratiqueme­nt tous choisis. Pour le rôle de la Cenerentol­a, le directeur de casting m’a proposé une chanteuse. Elle était très bien, mais vocalement, je me suis ennuyé. Et puis j’ai entendu Teresa Iervolino. J’étais en larmes. Ottavio et moi avons auditionné le ténor. Pour les autres rôles, j’ai fait confiance à la production. Ils n’ont pas intérêt à me mettre dans les pattes quelqu’un qui ne correspond pas à l’oeuvre. Et si l’on me dit : « Musicaleme­nt, il faut laisser comme ça », je m’incline. Pour les répétition­s, c’est très différent du théâtre, c’est plus dur. « Ah pour les décors, je n’ai que deux dates », « pour tel chanteur trois jours »… En revanche le passage des répétition­s au piano à celles avec l’orchestre ne me fait pas peur. Ottavio est là, c’est sa partie. Pas d’ingérence ! Bien sûr je peux donner mon avis.

Vous ne craigniez pas que la puissance de l’orchestre oblige les chanteurs à se concentrer sur leur chant au détriment de la mise en scène?

Non, ce sont des stars. Et puis Garnier a une acoustique extraordin­aire.

Vous n’auriez pas préféré l’Opéra-Bastille, où se jouent la plupart des oeuvres lyriques?

Mais Bastille, c’est énooorme, la scène comme la salle ! Je suis plutôt content de débuter à Garnier. Vous savez une première mise en scène à l’Opéra de Paris, c’est déjà bonjour la pression !

Patrice Chéreau et Daniel Barenboim ont monté ensemble « Tristan et Isolde » en 2007 à la Scala de Milan. Dans leur « Dialogue sur la musique et le théâtre » (Buchet-Chastel), le metteur en scène dit au chef d’orchestre : « La différence entre toi et moi, c’est que, pendant la représenta­tion, tu es là. »

Un relais doit absolument s’établir. Il faut avoir une grande confiance dans le chef pour la partie musicale et, en même temps, il faut être d’accord sur la lecture de l’oeuvre. Après cet échange, on laisse les clés au chef. « A partir de maintenant, tu es le garant de la tenue de cette lecture-là. Moi, je ne serai plus là. » Je trouve ça magnifique. L’opéra est une addition. La confiance que l’on doit faire au chef d’orchestre n’enlève d’ailleurs rien à l’exigence, ni à l’autocritiq­ue.

Vous n’avez pas peur qu’on vous enlève quelque chose que vous avez mis au monde?

De toute façon, on vous l’enlève. C’est fait pour.

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Lors des répétition­s, avec la mezzo-soprano Teresa Iervolino.

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