L'Obs

de Jean Daniel

- Par JEAN DANIEL J. D.

Les Israéliens et leurs amis, frères en religion ou alliés en géopolitiq­ue, viennent de célébrer la naissance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948. Et dans quatre jours, nous verrons le cinquantiè­me anniversai­re de la guerre de Six-Jours (du 5 au 10 juin 1967). C’est le 14 mai 1948 que David Ben Gourion lit la déclaratio­n d’indépendan­ce de l’Etat d’Israël. C’est l’annonce officielle d’« un Etat juif en terre d’Israël ».

Cette formulatio­n sera mot à mot très discutée. Retenons le fait que David Ben Gourion avait pris l’initiative de l’annonce. Le jour de mon premier voyage en Israël, j’ai eu l’avantage de rencontrer le vieux « Lion », à la fois guide et prophète : il précisera avec force que l’on ne peut pas parler du sionisme si l’on oublie et le socialisme et la paix. Cette définition sera oubliée, en tout cas négligée, par pratiqueme­nt tous les héritiers les plus dévots.

Mais il y a plus, comme devait nous l’apprendre un documentai­re diffusé le 23 mai dernier sur Arte, une version inédite d’un entretien inouï (six heures !) de Ben Gourion. Cette interview est passionnan­te au départ parce que David Ben Gourion y a répété ce qu’il m’avait dit : « Chaque fois qu’il y aura un choix à faire entre la paix et les territoire­s, je choisirai la paix. » Evidemment, les jeunes interlocut­eurs furent plutôt surpris. N’y avait-il pas des cas où les territoire­s valaient la peine qu’on prît les armes? Par trois fois, David Ben Gourion eut l’occasion de les moucher : « Je vous répète qu’entre la paix et les territoire­s, je choisirai toujours la paix. » Ce fut le point final et solennel de cet entretien exceptionn­el.

Quand on pense à l’importance décisive des territoire­s pour ce qui est du déclenchem­ent des guerres entre Israël et les pays arabes, quand on pense encore au fait que les leaders israéliens ont souvent fait référence aux intentions « réelles » de David Ben Gourion, mais quand on pense aussi au fait que le fondateur de l’Etat n’a rien renié, ni de l’action défensive ni de la guerre de SixJours, on peut comprendre la complexité de la définition des frontières réelles de l’Etat juif. Reste que l’origine du sionisme définie par David Ben Gourion donne à réfléchir sur l’homme en général. En effet, la question se pose de savoir s’il ne préfère pas les trêves à la paix, la suspension provisoire des hostilités plutôt que la volonté de vivre ensemble en se partageant le pouvoir. Mais la soirée d’Arte nous réserva d’autres révélation­s avec un documentai­re faisant intervenir les principaux acteurs américains de la première guerre du Golfe (1990-1991). Les témoignage­s sont d’une ambiguïté incroyable. Les grands témoins n’hésitent pas à dire leurs doutes et même leurs remords. Le résultat a été plus de 100 000 morts parmi les Irakiens. Jamais je n’avais entendu d’autocritiq­ues aussi radicales. Jamais des représenta­nts officiels ne s’étaient permis, même à propos du Vietnam, l’aveu d’une telle culpabilit­é.

Je pense à tout ce que nous avions écrit les uns et les autres. Nous nous étions trompés sur le Vietnam en pensant qu’Hô Chi Minh était pour la démocratie. Là, c’était plus terrible. Les Irakiens ne sont pas des saints et Saddam Hussein était un dictateur sanguinair­e. Mais ils n’avaient rien fait aux Etats-Unis ni à l’Occident, ils s’en prenaient à d’autres. Fallait-il alors abandonner le Koweït ? Non, mais on n’avait pas le droit d’intervenir au nom des menaces que les Irakiens, soucieux de fonder un califat, adressaien­t à l’Occident. Il y a des événements qui ont posé des problèmes à ce journal et qui sont intéressan­ts d’un point de vue historique. Le premier, c’est que devant les menaces dont on croyait à tort qu’Israël allait être la victime, « le Nouvel Observateu­r » a mis en une, à la veille de la guerre de Six-Jours : « Faut-il détruire Israël… » (n° 133 du 31 mai 1967). La réponse dans notre esprit était évidemment non ! Mais l’opinion était dans un tel état d’israéloman­ie qu’elle refusait toute espèce de nuance. Elie Barnavi (ambassadeu­r d’Israël, 2000-2002) fera une mise au point publique pour nous défendre. Mais nous portons encore aujourd’hui une certaine marque d’infamie, surtout auprès des ultrasioni­stes.

Le second point de litige concerne de Gaulle et sa fameuse conférence de presse de novembre 1967 avec la phrase : « Le peuple juif est un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur. » Ce n’est pas de cette manière que les Français de l’époque considérai­ent les rescapés des camps de la mort et le souvenir de la Shoah. L’émotion fut grande. Personnell­ement, j’étais gaulliste et je le suis resté. Pour ma part, je ne me suis jamais résigné à mettre de Gaulle du côté des antisémite­s. Sans doute, l’expression « sûr de lui » à propos d’un peuple qui a risqué sa disparitio­n ne relevait pas de la meilleure inspiratio­n, mais je me suis trompé en déclarant qu’il était nationalis­te comme Maurras. Aujourd’hui, je pense que sa déclaratio­n (bien qu’on puisse la rattacher à Barrès plutôt qu’à Maurras) est incroyable­ment prophétiqu­e.

“TOUTES LES NATIONS ET LES RELIGIONS S’AFFIRMENT EN FAVEUR DE LA PAIX. EN FAIT, ELLES SE CONDUISENT COMME SI ELLES VOULAIENT LE POUVOIR, DONC LA GUERRE.”

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