OFRA, LA “MÈRE” DE TOUTES LES COLONIES
Paysage âpre de collines moyennes, la région que traverse la route 60 met instantanément les sens du voyageur en éveil. Rouler sur cet axe étroit peut, les jours d’attentat ou de ratissage par Tsahal, se révéler périlleux, selon que votre véhicule arbore une plaque d’immatriculation jaune (israélienne) ou blanche (palestinienne). Les uns et les autres n’ont de toute façon pas d’autre choix que de se croiser sur l’artère qui, depuis toujours, structure le réseau routier de la Palestine biblique. Une voie dont les accotements semblent être la propriété exclusive des juifs, hommes, femmes, adolescents, qu’on peut voir aux arrêts de bus attendre qu’une voiture s’arrête. L’auto-stop est un élément central du mode de vie des habitants des implantations; une nécessité – les transports publics sont rares et les distances élevées – autant qu’un acte politique : l’affirmation qu’ils sont partout chez eux « en JudéeSamarie ». Il s’agit d’imposer une volonté collective à un environnement hostile où la présence des « Arabes » est un élément parmi d’autres, au même titre que le climat ou la topographie. Comprenant qu’il n’y a pas la place sur un aussi petit territoire pour deux projets nationaux, les colons ont choisi de croire que celui des Palestiniens n’est qu’une lubie passagère. Sans cela, auraient-ils eu l’idée d’installer Ofra au bord de la route 60, à proximité de plusieurs villages arabes? A l’époque, en 1975, la société israélienne est sortie moralement brisée de la guerre de Kippour : pour une poignée de jeunes sionistes religieux, il s’agissait de la sauver spirituellement en accomplissant la promesse divine de renaissance du royaume d’Israël sur son territoire historique. C’est ainsi qu’Ofra est devenue la matrice originelle du mouvement des colonies. L’idéal de vie communautaire et de travail de la terre, inspiré de l’expérience du kibboutz de ses fondateurs, s’est sans doute étiolé. Mais la stratégie à deux temps qui a permis la création de toutes les autres implantations continue de s’élaborer ici : mettre les gouvernements de gauche comme de droite devant le fait accompli avant de les contraindre à construire les infrastructures publiques qui leur conféreront une légalité de fait. « Voyez, tout est là », dit Pinhas Wallerstein, l’ancien secrétaire général d’Ofra, en montrant la carte du plan de développement de la région datant de 1977. Rien ne manque : chaque colonie, chaque zone industrielle, chaque route construite au cours des trois décennies durant lesquelles ce sexagénaire sans cesse en mouvement dirigea le Conseil de Yesha, le conseil des colons, y était déjà scrupuleusement référencée. On compte désormais 131 colonies et 97 avant-postes à travers la Cisjordanie. « Dès le départ, nous avions tout prévu pour rendre impossible l’existence d’un Etat palestinien », insiste Pinhas Wallerstein.