Musique pour les yeux
THROUGH THE LOOKING GLASS, PAR MIDORI TAKADA (PALTO FLATS)
Au début des années 1980, la percussionniste japonaise Midori Takada a enregistré « Through The Looking Glass » seule, en quelques jours. Ancienne de l’orchestre philharmonique de Berlin, elle s’était détournée de la musique occidentale, qu’elle trouvait trop corsetée, pour étudier les musiques asiatiques et africaines, qui, dit-elle, « exigent de vous que vous vous intéressiez à votre transformation physique, et que vous partagiez cette transformation avec vos partenaires, votre groupe, votre tribu ». « Through The Looking Glass » est sorti en 1983, uniquement en vinyle. Les exemplaires du disque étaient introuvables, ou alors extrêmement chers. (On peut l’écouter sur YouTube, mais ne le répétez pas.) D’une manière générale, l’oeuvre de Takada est restée plus que confidentielle, alors qu’elle est fréquemment décrite comme une égale de Steve Reich. Elle fait partie de ces artistes maudits qu’on loue en brandissant le nom d’un autre.
On réédite donc ce poème musical nomade qui mêle si bien l’Afrique, l’Extrême-Orient, les Caraïbes et le reste du monde qu’on abandonne vite l’idée de lui attribuer une origine. Il suit un chemin assez classique, de l’ouverture olympienne de « Mr. Henri Rousseau’s Dream » au final fiévreux de « Catastrophe ». Entre ces points d’entrée et de sortie, Takada se charge de construire un objet sonore organique, où l’avalanche de gongs, marimbas, cencerros, maracas et tambourins, relevée par des nappes d’harmonium ou des piqués à l’ocarina, se transforment, se croisent et se chevauchent, dans une complexité grandissante. L’harmonie et la mélodie ne sont pas un point de départ, mais un résultat que l’on dirait fortuit, toujours évolutif. C’est presque de la musique à voir : on regarde où va le martèlement répétitif d’une cloche, ce qu’il veut devenir, comment il interagit avec l’harmonium qui le prend par en dessous. Takada crée des structures sans sens, comme la nature produit des paysages selon une règle que personne n’a édictée et qui ne veut rien dire. Il y a des plaines et des pics, des fleuves et des rapides. C’est beau et puis c’est tout.