“Art”, encore et toujours
ART, DE YASMINA REZA, DU 2 AU 30 JUIN. THÉÂTRE DE LA BASTILLE, PARIS-11E. RENSEIGNEMENTS : WWW.THEATRE-BASTILLE.COM OU 01-43-57-42-14
C’est en 1994 qu’« Art » a été créé. Parler de succès serait au-dessous de la vérité : ce fut un triomphe. Qui fit tache d’huile. Traduite dans 35 langues, la pièce a été jouée dans le monde entier. Il fut un temps où l’on aurait pu dire que, comme sur l’empire de la reine Victoria, le soleil ne se couchait jamais sur le théâtre de Yasmina Reza. De quoi parle-t-elle cette pièce applaudie sous toutes les latitudes ? De l’art contemporain, du snobisme, mais surtout des exigences de l’amitié. Serge a acheté un tableau presque entièrement blanc. Le peintre étant coté, il l’a payé cher. Marc, son meilleur ami, n’arrive pas à digérer cette furie de modernité. Il traite la toile de « merde blanche ». Quant à leur copain Yvan, sa couardise naturelle le pousse à jouer les réconciliateurs. On sait pourtant bien qu’entre l’arbre et l’écorce, il ne faut pas mettre le doigt…
Qu’ils proviennent du collectif belge Tg Stan ou du collectif hollandais Dood Paard, les trois interprètes du spectacle de la Bastille sont tous néerlandophones. Saluons l’effort fait pour jouer en français. A vrai dire, leur apport à la pièce de Reza n’est pas concluant. On connaît le goût du collectif Tg Stan pour l’iconoclasme et l’on ne s’en formalise pas, mais sa manie d’interrompre la pièce pour interpeller les spectateurs ne présente aucun intérêt. C’est une marque de fabrique appliquée par système. Néanmoins, nous sommes reconnaissants à ces sympathiques vandales : en ne prêtant pas l’oreille aux trissotins français qui jettent l’anathème sur Reza et la rangent parmi les boulevardiers, en jouant « Art » devant le public des salles subventionnées, en extrayant la comédie du réalisme dans lequel on l’a jusqu’ici cantonnée, ils lui rendent un immense service. Ils montrent que, même malmenée par une mise en scène brutaliste et des acteurs maîtrisant mal notre langue, le texte tient le coup. Hormis les 200 000 francs du tableau blanc (désormais convertis en 60 000 euros), un quart de siècle après la création, pas un mot, pas une phrase n’a vieilli. C’est bel et bien un classique. Sa reprise l’an prochain par Patrice Kerbrat, son premier metteur en scène, s’annonce prometteuse.