Décryptage Les effets de manche d’Edouard Philippe
Barbu, élancé, osant quelques coquetteries comme les souliers marron avec costume, le nouveau Premier ministre a surtout une fixette : les boutons de manchettes. Un artifice mode, signe d’un vrai souci d’élégance, qui lui permet de sortir de l’ombre
Le Premier ministre Edouard Philippe aime Bruce Springsteen, les bonbons, les sushis au thon, la boxe, la Corona, mais surtout les boutons de manchettes. C’est sa petite fixette mode. Ce n’est évidemment pas le premier en politique… On se souvient d’Edouard Balladur, de Tony Blair ou de Dominique Strauss-Kahn. Mais lui les collectionne depuis longtemps. Lorsqu’il reçoit les syndicats à Matignon le 30 mai – alors que tous les journalistes harcèlent son directeur de la communication sur « l’affaire Richard Ferrand » –, nous, futiles que nous sommes, on veut savoir quel modèle il a choisi sur ses poignets mousquetaires, french cuff comme disent nos amis anglais. Un héritage des xviie et xixe siècles qui permet de remplacer les rubans et autres liens trop froufrouteux. On sait qu’Edouard Philippe sélectionne ses boutons de manchettes en fonction des occasions et de ses interlocuteurs. Alors on guette.
LE COLLECTIONNEUR
« Des orange, nous répond, amusé, le conseiller, qui accepte de se prêter à ce court intermède ludique. Il en a des dizaines… Des bleu, blanc, rouge [repérés au JT de TF1 en version ronde, le 16 mai, ou en modèle drapeau, le même jour, dans l’après-midi, alors qu’il quitte son domicile pour rejoindre Matignon, NDLR]. Il en a même en forme d’ancre marine [il est ex-maire du Havre, ex-député de Seine-Maritime, et petit-fils de docker]. » Il portait donc la version tricolore le jour de la passation de pouvoirs, le jour du conseil des ministres, mais aussi sur le terrain : en déplacement dans une maison pour handicapés et même avec un casque de chantier, lors d’une visite d’usine. Souvent les mains jointes, à mi-chemin entre profonde réflexion et contrition, on ne voit que ça dépasser de ses chemises, quand il n’est pas en mode décontracté, manches retroussées avec deux boutons ouverts.
C’est au site Vendredi-matin.fr qu’en 2010, déjà, il se confiait sur sa collection de boutons de manchettes : « J’aime particulièrement ma première paire, de régiment de garde, achetée avec un ami italien qui en avait négocié le prix. Je conserve précieusement la seule paire de mon père, et j’adore ceux, très simples, formés de deux petites boules de pierres noires, reliées par une chaînette, offertes par une amie de mes parents. Son mari les portait sur le front de l’Est, pendant la dernière guerre. »
Cet accessoire revient en force chez les hommes ces dernières années, donnant étrangement une touche dandy moderne aux politiques. Ironie de cette lourde enquête: en fouinant sur les sites de boutons de manchettes, on est tombé sur ceux imaginés spécialement pour la dernière campagne présidentielle. Nombreux sont ceux à les avoir déclinés en produits dérivés. Ceux estampillés « Fillon 2017 », à 24 euros la paire, dernières pièces disponibles, nous ont fait beaucoup rire.
SORTIR DE L’OMBRE, SANS TROP CAPTER LA LUMIÈRE
Et puis il y a cette barbe, impeccablement taillée. Edouard Philippe est le premier barbu à Matignon depuis 1947… Paul Ramadier portait alors une barbe qui ressemblait d’ailleurs davantage à un bouc. Edouard Philippe l’arbore depuis trois ans, un moyen pour lui de gagner en maturité, en autorité. Il y a ensuite cette stature, cette grandeur. Du haut de son 1,90 mètre, il en impose, quitte à paraître parfois un tantinet dégingandé, debout sur le perron de l’Elysée.
Ses costumes, bleu sombre ou gris, sont souvent impeccables, les chemises blanches ou bleu ciel classiques, quelques pois discrets sur une cravate bleu nuit. Il ose le port des souliers marrons, petite coquetterie un brin chasse à courre. Une audace qui passerait mal chez nos voisins d’outre-Manche pour qui les chaussures marron associées au costume sont à proscrire, notamment dans les milieux d’affaires. Certains commentateurs, férus de matchs de looks politiques, y ont vu une pique au président de la République, Emmanuel Macron. Peut-être un peu tiré par les cheveux.
Les cheveux justement, parlons-en! Le Premier ministre assume assez bien sa calvitie et, malgré le port des lunettes qui accentue ce côté « défenseur du projet de loi sur la moralisation de la vie politique » dans un timing compliqué, il ne tombe pas dans la panoplie boring à la Juppé. On lui trouverait même un petit côté John Nollet, le coiffeur des plus grandes stars, le catogan ou la chevelure longue en moins. Se distinguer sans s’exposer (il reste très discret sur sa vie privée): le Premier ministre, côté image, réussit cette balance entre ombre et lumière.