L'Obs

Littératur­e Maryse Condé : « C’est mon dernier livre »

Après avoir galéré en AFRIQUE et enseigné aux ÉTATS-UNIS, la romancière de “SÉGOU”, affaiblie par la maladie, s’est retirée près de Gordes avec son mari, auquel elle a dicté ce beau roman. Visite

- Par GRÉGOIRE LEMÉNAGER

LE FABULEUX ET TRISTE DESTIN D’IVAN ET IVANA, Maryse Condé, JC Lattès, 250 p., 19 euros.

patates douces pour remplacer les navets. N’ayant jamais rien fait comme tout le monde, Maryse Condé cuisine le navarin comme personne ; et c’est savoureux. « La cuisine, c’est tout ce qui me reste, articule l’auteur de “Mets et merveilles”. Je ne peux pas marcher, pas écrire, je ne pourrai bientôt plus parler, mais je peux encore cuisiner. Alors j’y tiens. Les plats antillais, les accras ou le colombo, je ne sais pas faire. Pour moi, depuis l’adolescenc­e, la cuisine est une création. J’ai une recette de poulet au miel et aux crevettes, c’est dé-li-cieux. Mes filles viennent de Paris exprès pour manger ce que j’ai préparé. Je suis aidée de Richard, bien sûr. Mais si on m’enlève la cuisine, je n’ai plus rien. »

Richard, c’est Richard Philcox, l’homme qui a « changé [s]a vie » lorsqu’il l’a tutoyée, en 1969, dans la salle des professeur­s du lycée Gaston-Berger de Kaolack, au Sénégal. Cet aimable gentleman britanniqu­e est le mari et le traducteur de Maryse Condé. Depuis qu’une saloperie de maladie dégénérati­ve affecte son système nerveux, il est aussi son secrétaire, son marmiton, son chauffeur, son infirmier à domicile. Tous deux se sont retirés il y a un an près de Gordes, dans une bâtisse qui sait garder la fraîcheur quand le soleil cogne sur la garrigue. « Paris, je n’en pouvais plus, dit la romancière de “la Migration des coeurs”. J’étais prisonnièr­e de la rue Chapon, de notre appartemen­t. Toi, Richard, tu étais un peu mécontent de partir. Merci Richard, merci deux fois. » Leur grand regret commun, c’est New York où, de 1985 à 2013, Maryse Condé a enseigné la littératur­e à l’université Columbia : « On était bien logés, on avait tout. On est revenus, hélas, pour la carte Vitale, les médicament­s presque gratuits, le kiné… Je n’aime pas penser à New York, ça me rend triste. J’aime bien Gordes, mais ce n’est pas pareil. Enfin, c’est vivable. On se débrouille. »

“MA MÈRE N’A PAS LU UN SEUL DE MES ROMANS”

Se débrouille­r, Maryse Condé a toujours su faire. Il faut bien, quand on débarque seule de Pointe-à-Pitre, à 16 ans, au lycée Fénelon, rêvant d’entrer à Normale-Sup, persuadée d’être « la personne la plus intelligen­te du monde », capable d’écrire à la revue « Esprit » que Frantz Fanon n’a « absolument rien compris » aux Antilles, et qu’on se retrouve à accoucher d’un petit garçon sans père à 6 750 kilomètres de chez soi. C’était en 1956, Maryse Boucolon avait 19 ans. Son premier amour, un intellectu­el haïtien, s’était envolé. Il n’était plus question de Normale-Sup, pas question non plus de revenir en Guadeloupe où ses parents, des « grands Nègres » partis de pas grand-chose, qui furent « le premier couple de Noirs à posséder une voiture, une Citroën C4 », l’avaient élevée en lui lisant les contes de Perrault, dans l’idée qu’il est inutile de parler créole et que la cuisine antillaise est « grossière ». Comment disait Céline, déjà? « On est parti dans la vie avec les conseils des parents. Ils n’ont pas tenu devant l’existence. » Etre seule à Paris dans ces années-là, c’est se résigner à confier son fils à l’Assistance publique en cherchant du travail. C’est apprendre la mort de sa mère sans l’avoir revue : « Avoir vécu sans elle a toujours tout gâché. Elle n’a jamais connu mes enfants, pas lu un seul de mes livres. J’en parle peu, je n’en parle même jamais ; mais c’est un vide constant, je n’ai jamais pu m’y habituer. » C’est enfin, c’est surtout peutDes

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