L'Obs

Moralisati­on L’analyse d’Eva Joly

Pour l’ancienne juge d’instructio­n au pôle financier Eva Joly, la loi sur la moralisati­on de la vie publique est une avancée considérab­le. Mais des brèches existent encore

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En pleine affaire Ferrand et alors que la demande de transparen­ce n’a jamais semblé aussi forte, l’annonce par le garde des Sceaux François Bayrou de trois grands textes vous semble-t-elle à la hauteur ?

Je ne pense pas que ce soit des mesures réduites. Renforcer l’indépendan­ce des magistrats du parquet est un pas énorme et peut marquer la fin du contrôle des procureurs et des procureurs généraux par l’exécutif. Jusque-là, le gouverneme­nt avait toujours le dernier mot et cela a toujours faussé l’exercice de l’action publique en France. Sur le financemen­t des parlementa­ires, la fin de l’indemnité représenta­tive de frais de mandat et la mise en place du remboursem­ent en frais réels, c’est-à-dire en notes de frais, sont vraiment une bonne chose, car cela supprimera une bonne partie des possibilit­és d’enrichisse­ment personnel indu. Jusque-là, en l’absence de contrôle des dépenses, il arrivait assez facilement que ces sommes puissent aller sur des comptes personnels ou, comme on l’a vu dans certaines affaires récentes, dans des dépenses d’installati­on de piscine, de parties de golf ou de séances de cinéma. Il n’existait aucune rigueur dans les remboursem­ents. La limitation des mandats politiques va aussi dans le bon sens.

Des brèches existeront toujours. Plusieurs retiennent l’attention : il n’est, par exemple, pas prévu de rendre public le nom des donateurs des campagnes électorale­s et des partis politiques. N’est-ce pas une carence, voire le terreau de scandales à venir ?

Ce serait évidemment une bonne chose pour la transparen­ce du financemen­t des partis. Mais la loi actuelle est bonne. Elle prévoit une limitation par donateur à 7 500 euros par an pour un parti et à 4 600 euros pour un candidat. Cela est pertinent et permet de préserver le niveau de financemen­t individuel de la vie politique. En réalité, le véritable problème est le financemen­t occulte, quand, comme ce fut le cas pour celle de Nicolas Sarkozy par exemple, le coût d’une campagne est le double de celui qui est déclaré. Aujourd’hui, la répression du financemen­t illégal n’est pas dissuasive [elle est aujourd’hui d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende, NDLR]. Prévoir des condamnati­ons plus lourdes serait une bonne chose. Et je serais favorable à une transparen­ce des dépenses en temps réel durant la campagne, par exemple lors des meetings : les citoyens pourraient vérifier que si 400 cars de transport des militants sont sur le parking, le budget n’en a pas prévu 40… C’est simple à faire et cela évite des remboursem­ents de dépenses indues.

Les débats sur la moralisati­on de la vie publique posent la question des comporteme­nts individuel­s. Faut-il se fier aux hommes ou aux institutio­ns ? Ne peut-on définitive­ment pas faire confiance aux élus et à leur capacité à veiller euxmêmes à leur probité ?

L’histoire abonde d’exemples qui montrent que l’autorégula­tion ne fonctionne pas. Le cas que je n’oublierai jamais est celui des 100 000 morts de l’amiante. La France avait laissé à l’industrie la gestion et la prévention en ce qui concerne ce dossier. Il a fallu attendre le début des années 1990 pour que l’amiante soit interdite. Entre-temps, les dégâts provoqués ont été majeurs. L’autorégula­tion ne peut fonctionne­r car elle est entravée par le conflit d’intérêts permanent. Il faut pousser encore l’effort pour que cette notion soit comprise et admise par tous. Le bond en avant provoqué par ces lois va contribuer à la moralisati­on de la vie politique à la condition qu’elles marquent la fin des privilèges. Chacun doit accepter d’être contrôlé dans son usage des deniers publics.

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Eva Joly est aujourd’hui avocate au barreau de Paris et députée européenne.

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