L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- Par JÉRÔME GARCIN

O n n’a pas tant que ça l’occasion de féliciter Eric Ruf, le patron de la Comédie-Française. Mais là, chapeau. Etre allé chercher Isabelle Nanty pour mettre en scène, sous les ors de la salle Richelieu, « l’Hôtel du Libre-Echange » de Feydeau et Desvallièr­es ( jusqu’au 25 juillet), c’est d’une audace quasi macronienn­e. Rappelons en effet qu’Isabelle Nanty, deux fois recalée au Conservato­ire et deux fois au Centre de la rue Blanche, n’a pas vraiment le profil des artistes appelés à diriger occasionne­llement la troupe du Français. Car elle n’est ni une performeus­e brésilienn­e ni une vidéaste flamande, et pas davantage une post-moderne bulgare qu’une adepte transgenre du déconstruc­tivisme néo-zélandais. Enfin, la comédienne n’a tourné ni avec Philippe Garrel ni avec Alain Guiraudie. On la connaît surtout pour ses rôles de virago fluo, qui ne rendent pas toujours justice à son tempétueux talent. Qu’elle s’appelle Cathy Tuche (elle vient de tourner le troisième épisode de la série d’Olivier Baroux), Sandrine Vonnier dans « Tatie Danielle », Georgette dans « Amélie Poulain », Fabienne Morlot dans « les Visiteurs », Itinéris dans « Astérix » ou Christiane Potin dans « Fais pas ci, fais pas ça », Isabelle Nanty reste une inconnue. Il aura donc fallu cette invitation d’Eric Ruf pour qu’elle cesse, à 55 ans, de se sentir « illégitime », et qu’elle montre, fût-ce dans l’ombre, son vrai visage. A cette pièce de Feydeau, somptueuse­ment scénograph­iée par Christian Lacroix, elle donne une nouvelle jeunesse. Aux innombrabl­es quiproquos, toujours hilarants, elle ose ajouter l’émotion qui s’attache à des personnage­s désenchant­és qui rêvent tant d’aimer et d’être aimés. Isabelle Nanty met de l’huile d’amande douce dans la mécanique industriel­le de Feydeau. En somme, elle ravale et enjolive le vieil « Hôtel du Libre-Echange » de la rue de Provence. Sous sa baguette, les acteurs du Français ont l’air aux anges, de Michel Vuillermoz à Bruno Raffaelli, d’Anne Kessler à Florence Viala. Et puis, il y a Christian Hecq. Ce comédien, qui tient de Louis de Funès et de Maurice Chevit, frôle le génie lorsqu’il joue du Feydeau. (Il fut, sur la même scène, l’inoubliabl­e Bouzin du « Fil à la patte », dans une mise en scène de Jérôme Deschamps.) Ici, dans le rôle de Mathieu, un veuf collant qui débarque à Paris avec ses quatre filles et bégaie quand le temps tourne à l’orage, il explose les règles de la pantomime, du cabotinage, de l’histrionis­me et de Guignol. Nanti de Nanty, il est phénoménal. J. G.

Newspapers in French

Newspapers from France