L'Obs

LES SENTINELLE­S DU PRÉSIDENT

La “task force” anti-Daech, sous l’autorité directe d’Emmanuel Macron, exigera une coordinati­on plus rapide et plus directe des services de renseignem­ent. Le temps presse…

- Par MATHIEU DELAHOUSSE et CAROLINE MICHEL

C’est un peu comme si les terroriste­s parvenaien­t même à garder une longueur d’avance sur les calendrier­s politiques. Tandis qu’Emmanuel Macron avait de longue date prévu de réunir à l’Elysée ce mercredi 7 juin un Conseil de Défense et de Sécurité nationale pour couler dans le marbre les contours de son nouvel état-major antiterror­iste, l’attaque de Manchester puis surtout celle de Londres sont venues précipiter le chantier. Impossible d’attendre : Paris se dote de la « task force » promise durant la campagne présidenti­elle, structure inédite dans le panel des services antiterror­istes déjà en action.

Ce « centre de coordinati­on des services engagés dans la lutte contre le terrorisme » sera constitué d’une soixantain­e d’hommes et de femmes. Disponibil­ité permanente, accès direct au chef de l’Etat pour informer en temps réel et délai de moins d’une demi-heure en cas de décision de crise : ce sera un « instrument efficace dans la réflexion stratégiqu­e comme dans l’articulati­on opérationn­elle entre tous les services engagés dans le contre-terrorisme », avaient résumé durant la campagne plusieurs conseiller­s de l’ombre du candidat Macron.

Aujourd’hui, la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) forte de ses 6500 hommes, la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) avec ses 4 000 espions, et la Direction du Renseignem­ent militaire (DRM) épaulée de 1800 agents forment le gros du renseignem­ent français. Leurs patrons, notamment Patrick Calvar de la DGSI, Bernard Bajolet de la DGSE et Christophe Gomart de la DRM, partant à la retraite, il reviendra à leurs successeur­s de créer cette nouvelle unité, d’autant que la lutte contre le djihadisme exige l’appui d’autres cercles, comme le Service central du Renseignem­ent territoria­l (SCRT) mais encore la toute jeune Direction du Renseignem­ent pénitentia­ire, dotés depuis mai dernier seulement de moyens significat­ifs.

Le chantier s’annonce colossal. « Il y a besoin de remuscler la coordinati­on entre tous les services au niveau du président avec des prérogativ­es élargies, confirme le député européen Arnaud Danjean, qui avait participé au programme d’Alain Juppé sur le terrorisme. Mais faut-il aller jusqu’à faire du pilotage ? Je vois deux inconvénie­nts à un tel dispositif : le renseignem­ent n’est jamais aussi bon que quand il est fait par des gens proches du terrain, et je suis gêné par le fait de prélever des spécialist­es du djihadisme de nos services, alors qu’ils sont déjà sous tension et qu’il n’y a pas pléthore de très bons spécialist­es. Cela va semer la zizanie. » Un tel désordre serait contraire au but initial, alors qu’il faudra dans le même temps échanger en permanence avec nos voisins européens et convaincre les géants de l’internet d’ouvrir leurs réseaux aux espions pour pouvoir accéder aux échanges cryptés.

Demeure un point crucial. Quitte à refonder toutes les structures d’un Etat engagé contre le terrorisme pour longtemps, la question d’un parquet national antiterror­iste est posée. Imaginé sur le modèle du parquet national financier, « il permettrai­t à la justice de mener des actions coercitive­s immédiates », plaide l’ancien chef de la section antiterror­iste du parquet de Paris Michel Debacq qui, aux côtés du juge Jean-Louis Bruguière, a alimenté la campagne présidenti­elle d’Emmanuel Macron. Ce nouveau parquet devrait, à ses yeux, être bâti en liaison avec la « task force » de l’Elysée. Pour que justice antiterror­iste et renseignem­ent aussi travaillen­t ensemble.

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Deux fonctionna­ires du contre-espionnage français obligés de conserver leur anonymat.

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