L'Obs

McNeil aux urgences

UN VAUTOUR AU PIED DU LIT, PAR DAVID McNEIL, GALLIMARD, 160 P., 15 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Etrange. Lorsqu’il se réveille, au pied de son lit d’hôpital, il y a un vautour qui, les serres agrippées aux barreaux, le fixe de ses yeux sans paupières et semble attendre sa proie. Il est vrai que David McNeil ne va pas bien. Mais la présence du charognard lui paraît prématurée. « Fout le camp, sale bête ! », lui hurle le fils de Marc Chagall. En vain. Le rapace ne bouge pas, il salive. Il est encore là, hautain et narquois, quand, après l’opération, on ramène le malade dans sa chambre. En guise de représaill­es, McNeil allume, à la télé, la chaîne Chasse & Pêche et prie sa femme de bien vouloir lui apporter dare-dare un volatile rôti, poulet, dinde ou pintade, qu’il dégustera, sadique, devant le chacal. On voit par là que, même au bord du gouffre, même au plus profond de ses rêves opiacés, le parolier d’Alain Souchon et de Julien Clerc a encore de la repartie. Cela fait longtemps que, un crayon ou un pinceau dans une main, une guitare Gibson dans l’autre, le romancier de « Tangage et roulis » persifle la mort. On a déjà retiré un poumon à ce fumeur et dipsomane. Cette fois, on lui a trouvé, dans l’oesophage, une tumeur de sept centimètre­s, dont il se sépare bien volontiers. Le seul organe vital que la Faculté ne saurait lui enlever, c’est l’humour. Il en avait usé dans ses livres précédents, de « Tous les bars de Zanzibar » à « 28 boulevard des Capucines », il en abuse ici. Plus il souffre, mieux il rit et se joue de son effroi. Plus il se croit condamné, mieux il délire, jouant du sax avec Count Basie ou buvant un Singapore Sling avec Ava Gardner. Son séjour hospitalie­r, pendant lequel on lui donne des patchs de morphine, tourne à la farce. Il cache une bouteille de brouilly dans la chasse d’eau des WC, vomit sur les homards en fer-blanc de Jeff Koons, entend les éléphants barrir, et se réfugie dans ses souvenirs, qui pleuvent comme à Gravelotte. Au volant de son Aston DB4, domiciliée dans un parking monégasque, il échappe ainsi à la fibroscopi­e, fuit la douleur, roule vers sa chère maison de Ramatuelle, au milieu des arbres, des vignes, des mimosas qu’il a plantés, et pousse jusqu’à La Turbie pour boire une dernière bière au bar d’une pompe à essence, où l’on vend les meilleures pissaladiè­res des Alpes-Maritimes. David McNeil, qui doute d’être un vrai chanteur et un bon guitariste, mais aurait tort de contester sa verve d’écrivain, se définit comme un troubadour métissé de griot. Il a surtout hérité de son père, cet ange dans les pas duquel il fait chaque jour quelques pas supplément­aires, l’art de maroufler le malheur, de rafraîchir le bonheur, de repeindre la vie en rose. Et les vautours, en colombes.

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