L'Obs

Une vodka avec Dovlatov

LE JOURNAL INVISIBLE, LE LIVRE INVISIBLE, PAR SERGUEÏ DOVLATOV, TRADUIT DU RUSSE PAR CHRISTINE ZEYTOUNIAN-BELOÜS, LA BACONNIÈRE, 220 P., 18 EUROS.

- DIDIER JACOB

Il est passé par le goulag, mais côté garde-chiourmes, pas côté dissidents. Né en 1941, Sergueï Dovlatov n’a jamais réussi à être Soljenitsy­ne. Mais, pour le peuple russe, l’écrivain de légende, ce n’est pas l’auteur d’« Une journée d’Ivan Denissovit­ch », c’est lui. Ancien de la faculté des lettres de Leningrad, il fréquente dans les années 1960 les poètes interdits, à commencer par Joseph Brodsky, futur prix Nobel à la personnali­té aussi fascinante qu’énigmatiqu­e qui finira ses jours aux EtatsUnis. Exclu de l’université, Dovlatov doit effectuer son service militaire et devient gardien dans un camp de criminels endurcis. Trois ans pendant lesquels il travaille au manuscrit de « la Zone », un roman satirique inspiré de son expérience qui lui vaut les foudres de l’administra­tion, et qui va commencer à circuler sous le manteau. Dans « le Livre invisible », l’écrivain raconte avec une ironie mordante la vie sans joie d’un auteur dans la Russie soviétique. Pendant des années, il tente vainement de persuader les responsabl­es des revues littéraire­s, frileux comme on imagine, de publier ses nouvelles. Il n’y parviendra jamais. A cette chronique autobiogra­phique et ubuesque s’ajoute, dans le second volet de l’ouvrage, le récit non moins kafkaïen de son exil aux Etats-Unis, en 1978. Il découvre alors que, au pays de la liberté, publier n’est pas une moindre galère. « Chez nous, raconte Dovlatov, c’était simple comme bonjour. Le comité régional du Parti s’occupait de tout. Chaque organe de presse avait son local, et tout le personnel et l’équipement indispensa­bles. Tout était fourni par l’Etat. De l’imprimerie jusqu’aux stylos à bille. Chez nous, il y avait un censeur. Un guichet qui vous remettait régulièrem­ent votre salaire. Des chefs qui vous donnaient des directives. Ne restait qu’à écrire. Et vous saviez d’avance ce que vous deviez écrire exactement. Mais ici ? » Formidable témoignage retrouvé et préfacé par l’éditeur Samuel Brussell, le livre de Sergueï Dovlatov est drôle, horrible et déchirant.

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