L'Obs

Crime glacé

L’Islandais Ragnar Jónasson concocte un pur polar à la sauce nordique, où les silences et les secrets comptent autant que l’intrigue MÖRK, PAR RAGNAR JÓNASSON, TRADUIT DE L’ANGLAIS (D’APRÈS LA VERSION ISLANDAISE) PAR PHILIPPE REILLY, LA MARTINIÈRE, 336 P.

- ARNAUD GONZAGUE

Depuis quelques années, l’Islande étouffe sous l’afflux de touristes : deux millions de badauds viennent tous les ans arpenter ses plateaux volcanique­s, contempler ses geysers et faire trempette dans ses sources chaudes. Au point que ce pays, peuplé comme le Lot-et-Garonne, commence à se sentir envahi par la faune de ses groupies. On recommande­ra donc aux plus écologiste­s de nos lecteurs d’épargner trois heures trente d’avion à la planète et d’investir dans les polars made in Islande. Lesquels sont une valeur tellement sûre que les éditions de La Martinière, publiant un auteur pourtant inconnu sous nos contrées, Ragnar Jónasson, n’ont pas hésité à le vendre sous des titres exotiques : « Snjór » (2016) et sa suite, « Mörk ». « Mörk », qui signifie à la fois « forêt » et « limite », met en scène les aventures de l’inspecteur Ari Thór. Pas un flic écumant les bas-fonds de Reykjavik au contact de la pègre, mais un ancien étudiant en théologie exerçant à Siglufjörd­ur, village à l’extrême nord de l’île qui ferait passer nos lieux-dits du Limousin pour des ghettos de L.A. Sauf qu’un policier municipal, Herjólfur, y est retrouvé sérieuseme­nt blessé par balle. Ari Thór mène l’enquête sur son collègue et, soudain, le peuple le plus policé, féministe et sécurisant du monde dévoile sa face sombre. Une vieille histoire locale, celle d’une petite maison où habitaient des frères jumeaux, semble faire office de métaphore à tout un peuple : il y avait le jumeau gentil et l’autre... Auteur simple, direct, moins tourmenté que son compatriot­e Arnaldur Indridason, Jónasson campe des personnage­s auxquels on s’attache facilement – ce qui explique sans doute que sa série Ari Thór (6 volumes en Islande) sera bientôt adaptée en série télé. Avocat d’affaires en plus d’être écrivain à succès, il ne fume pas, ne boit pas, nage tous les jours et paraît dix ans de moins que son âge (40 ans). Pourtant le soir, après avoir couché ses deux fillettes, il se réfugie dans la littératur­e criminelle. Ils sont fous, ces Islandais.

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