L'Obs

Le Rohmer coréen

LE JOUR D’APRÈS, PAR HONG SANG-SOO. DRAME SUD-CORÉEN, AVEC KWON HAE-HYO, KIM MIN-HEE, KIM SAEYBUK (1H32).

- NICOLAS SCHALLER

Un intellectu­el quinquagén­aire converse autour d’un plat de nouilles avec une femme plus jeune, qu’il a prise sous son aile. Sur la table, un cimetière de bouteilles de soju. La discussion tourne autour des choses de la vie et de l’amour, le sujet qui, a priori, les réunit. Méfiance : rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. Pas de doute, on est chez Hong Sang-soo, le Rohmer coréen, l’homme qui filme plus vite que son ombre : vingt et un films en vingt et un ans (on ne compte pas les courts-métrages), autant de chefs-d’oeuvre pour ses thuriférai­res, du « Monde » à « Libé » en passant par les « Cahiers du Cinéma ». Et toujours le même sujet : les femmes, l’alcool et lui (du moins, son alter ego). Dans « le Jour d’après », son quatrième film présenté en compétitio­n à Cannes, Bongwan, éditeur et critique littéraire, est pris à partie, au petit déjeuner, par son épouse. Elle est convaincue qu’il la trompe, il nie mollement. Le voici face à Song Areum, la collaborat­rice qu’il vient d’engager, charmante. Elle l’interroge sur sa foi : « Refuser de croire à quelque chose à cause du réel n’est-il pas absurde ? » Le pari de Pascal, en d’autres termes. Pour autant, nous ne sommes pas dans « Ma nuit chez Maud » à Séoul. Cela fait un mois que son employée, qui était aussi son amante, a quitté Bongwan, et il a du mal à s’en remettre. Quand sa femme débarque par surprise à son bureau, persuadée que Song Areum est sa maîtresse, elle la gifle…

Tout cela est filmé en plans-séquences, à hauteur de couple, avec une économie de moyen (un zoom par-ci, un panoramiqu­e par-là, pas plus) qui ne nous offre pas d’autre choix que de nous concentrer sur ce qui se dit et se contredit, sur les infimes variations du discours et de la parade amoureuse. Car, d’une scène à l’autre, les cartes sont rebattues par des flash-back qui n’en ont pas l’air et qui n’en sont peut-être pas. Le cinéaste nous entretient dans une confusion chronologi­que qui remet sans cesse en question ce que l’on croit établi. On évolue en zone grise dans ce film en noir et blanc où la boisson grise. C’est ce qui en fait la fibre, délicate et retorse. Mais un chefd’oeuvre, non, faut pas pousser. La lâcheté masculine et les blessures féminines de l’adultère ordinaire telles que filmées par Hong Sang-soo sont sens dessus dessous.

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Kwon Hae-hyo et Kim Min-hee.

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