Spécial Avignon
Un festival encore populaire ?
Le Festival d’Avignon aura 70 ans en septembre. Lancé par Jean Vilar, il est longtemps resté associé au TNP, qu’il a dirigé de 1951 à 1963, et à sa volonté de créer un théâtre rendu populaire par son répertoire, intelligible à tous grâce à la limpidité des mises en scène et par des places à bas prix. Mais en 1963 Vilar quitte le TNP et ouvre peu à peu Avignon à d’autres créateurs et d’autres disciplines, comme la danse ou le cinéma. Depuis sa mort, en 1971, Paul Puaux, Alain Crombecque, Bernard Faivre d’Arcier, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, puis Olivier Py, se sont passé le témoin. Et le festival n’a cessé de grandir. Jusqu’à devenir le plus grand du monde. Qu’en est-il de son objectif premier? Y fait-on du théâtre populaire ou bien cette utopie a-t-elle été remisée dans le placard aux chimères ? Certains accusent Avignon d’être maintenant un rendez-vous ultrasélect pour initiés. Du moins le « in », sur lequel s’est greffé un autre festival : le « off ». Ici, pas de programmation centralisée, la grand-messe culturelle fait place à la kermesse, s’invite qui veut – et qui peut car les tarifs de location des salles sont délirants. On y trouve de tout. Le meilleur et le pire. Ce qui ne correspond pas davantage à la volonté de Vilar de former un public populaire. Pour tenter d’y voir clair, nous avons demandé à treize personnalités du théâtre de répondre à la même question : fait-on encore du théâtre populaire dans le « in » ?
“JE METTRAIS JAMEL DEBBOUZE DANS LA COUR D’HONNEUR !” PHILIPPE CAUBÈRE comédien, auteur et metteur en scène
Avignon, c’est important pour moi. C’est lié à ma vocation, j’ai été imprégné par l’image de Gérard Philipe. Quand je vais y jouer, ce n’est pas comme jouer ailleurs. Mais je suis désormais interdit de séjour dans le « in ». Comme Bartabas, j’incarne un genre de théâtre non seulement banni, mais honni. Que ce soit avec les précédents ou l’actuel directeur, personne ne répond à mes courriers. Est-ce parce que je fais des spectacles populaires ou parce que l’artiste que je suis ne les intéresse pas ? Je n’ai pas envie de le savoir. C’est leur problème. En même temps, comment savoir ce qui est populaire et ce qui ne l’est pas ? « Les Damnés », c’était un spectacle de haute tenue, d’extrême exigence, mais très populaire. Après, oui, on voit aussi des trucs nuls et indigents. Dans le roman d’Olivier Py « les Parisiens », il y a un personnage, visiblement inspiré de Pierre Bergé, qui dit en substance : « Le pouvoir de la mode, c’est le pouvoir suprême. » C’est ce qui me gêne au festival, l’assujettissement à la mode. Ce qui était fort chez Vilar, c’est qu’il défiait la mode. Il n’était pas au service des journalistes (la mode, c’est les journalistes). Ce que je reproche aux différents directeurs d’Avignon, c’est de courber l’échine devant la dictature intellectuelle. Ça, c’est antipopulaire. Moi, aujourd’hui, je mettrais Jamel Debbouze dans la Cour d’honneur. Cet Arlequin moderne est un génie comique. A Avignon, il y a eu Avron et Evrard, et dans la Cour d’honneur le mime Marceau ou Vittorio Gassman. A présent, la peur de n’être pas à la mode rend ça impossible.
Mais le snobisme est partout. Dans « Avignon. Le royaume du théâtre », Antoine de Baecque raconte que Vilar aurait voulu organiser des fêtes taurines à Avignon. Il ajoute : « Là on peut quand même penser qu’il déraillait un peu. » Ça m’a fait rire ! Les Parisiens ne comprennent pas que Vilar était un mec de Sète, que les gradins de la Cour d’honneur ont été fabriqués avec le bois qui servait pour les joutes nautiques de Sète, que l’idée – géniale – de fêtes taurines dans les rues d’Avignon est une idée d’homme du Sud. Ceci dit, mon cas personnel mis à part, Py est un bon directeur. Les chiffres sont là. C’est bourré à 150%. Il y a beaucoup de jeunes. Et on ne peut pas dire que le « off » soit un exemple à suivre…
“UN FESTIVAL DE BRANCHÉS ? FAUX !” OLIVIER PY directeur du Festival d’Avignon
Fait-on du théâtre populaire à Avignon ? « Les Damnés », montés l’été dernier par Ivo Van Hove, ou cette année « Antigone », de Sophocle, mise en scène par Satoshi Miyagi dans la même Cour
d’Honneur, sont des spectacles grand public et ne diffèrent en rien de l’idée que Vilar se faisait du théâtre populaire. Est-ce que le public a changé? Oui, il a vieilli, c’est incontestable. Il suit la courbe démographique de la France. Il a rajeuni depuis quatre ans, mais il faut encore se battre. Sur le plan social, il est à peu près toujours le même. Majoritairement féminin, il vient en grande partie de l’Education nationale. Moyenne d’âge : 47 ans. Mais il faut se départir des idées reçues, ce ne sont pas forcément les classes les plus pauvres qui sont absentes du festival. On fait dans les quartiers un travail efficace. Ce sont plutôt les jeunes actifs qui peuvent manquer. Le rêve de Vilar, c’était que l’assemblée d’Avignon représente la République. Dans une certaine mesure, c’est réussi. Plus qu’ailleurs. C’est un public varié. Composé de branchés ? Faux. Vu le salaire des enseignants, on pourrait au contraire parler du lumpenprolétariat de la culture. En tout cas, ces gens-là n’appartiennent pas aux élites financières ou médiatiques. Le préjugé a la vie dure mais toutes les études sociologiques, scientifiques, que nous menons, prouvent le contraire. Et montrent que le « in » et le « off » attirent le même public. Avignon n’a jamais été un festival grand public, mais un festival populaire.
“LA FÊTE, LA NUIT, LE CIEL, LE PEUPLE, LE TEXTE…” THOMAS JOLLY metteur en scène
Le théâtre est populaire. C’est dans son ADN. Il n’y a pas un théâtre populaire et un qui ne le serait pas. Cela n’a rien à voir avec l’exigence de l’artiste. Le caractère populaire est intimement lié à l’exigence artistique. C’est à cet endroit que l’institution joue un important rôle de passerelle. Or Avignon est l’endroit où artistes et public ne cessent de se fréquenter : par les spectacles, mais aussi par les nombreuses rencontres – planifiées par le festival ou fortuites à la terrasse d’un café. Pendant trois semaines, artistes et public sont placés dans le même espace. Tout ce que le théâtre porte en lui de constructeur, de fédérateur, voire de curatif, peut advenir. Advient surtout ce mythe d’une cité bruissant d’art, où la pensée se brasse partout, du matin jusque tard dans la nuit. Vilar avait défini le festival en cinq mots : « La fête, la nuit, le ciel, le peuple, le texte. » Ces cinq piliers le portent encore. Sa capacité de réinvention est sa force. En 1954, Barthes écrivait que « le Festival d’Avignon a été la voie naturelle du théâtre populaire ». C’est sur ce modèle que le théâtre est né il y a deux mille cinq cents ans. Et puisqu’il est né populaire, le festival l’est et le restera.
“ON EST PASSÉ DU « CID » À « HOLIDAY ON ICE »” RÉGIS DEBRAY écrivain, philosophe, auteur de « Sur le pont d’Avignon » (2005)
A la création du Festival d’Avignon en 1947, il y avait des comités d’entreprise. En 2017, il y a surtout des fondations d’entreprise. Les liens organiques entre travail et culture que le festival de Jean Vilar et de Gérard Philipe avait cristallisés et qui passaient autrefois par le Parti communiste, la CGT, les chrétiens de gauche, ont disparu. Les comités d’entreprise constituaient des bibliothèques, créaient des ciné-clubs et amenaient les gens au théâtre pour voir « le Cid ». Aujourd’hui, ils les emmènent à « Holiday on Ice » et à Disneyland. Ce glissement de terrain a forcément touché le Festival d’Avignon. Le pauvre n’est pas responsable de cette mutation historique, il accompagne le mouvement inéluctable de la société : la culture, hier populaire, est devenue l’apanage des bourgeoisies, la petite, la moyenne et la grande. Comme disait Deleuze, « le peuple manque ». Disons que j’ai été assez naïf pour croire que la belle France du TNP était éternelle. Elle ne fut que passagère.
“LE FESTIVAL NE DEVRAIT PAS ÊTRE DIRIGÉ PAR UN ARTISTE !” BARTABAS directeur du Théâtre équestre Zingaro
Depuis cinq ou six ans, on ne fait plus de théâtre populaire à Avignon. Et ça s’est beaucoup accentué avec la nouvelle direction. Tout a commencé à se gâter quand on a placé des artistes à la tête des grandes institutions. Par exemple quand Jack Lang a nommé Giorgio Strehler à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Un artiste ne s’intéresse qu’à lui-même, qu’à son travail. Il cultive son univers, sa différence, avec son public. Ce n’est pas quelqu’un qui parcourt le monde pour se tenir au courant. Directeur de festival, c’est un métier. Pour faire une programmation qui reflète le théâtre mondial, il faut
bosser, voyager. Olivier Py, il a deux sbires qui prospectent pour lui. Il fait parallèlement vingt créations par an, ce n’est pas honnête. On va me dire que Jean Vilar aussi était un créateur, mais quand le festival a commencé à prendre de l’ampleur, il a arrêté la mise en scène. Pour moi, à partir du moment où Olivier Py aspirait à prendre les commandes d’Avignon, il aurait dû mettre son travail de metteur en scène en suspens.
“LE THÉÂTRE POPULAIRE EST À RÉINVENTER” VALÉRIE DRÉVILLE comédienne
La définition d’un théâtre populaire sous-entend l’opposition entre un théâtre susceptible de toucher le plus grand nombre et un théâtre dit difficile, expérimental, où la recherche ne serait compréhensible que par des initiés, une élite. Or le théâtre est avant tout une expérience intime et collective. L’histoire, en particulier celle d’Avignon, a montré qu’un théâtre qui interroge les formes, les remet en cause et les critique, peut être profondément populaire. Le théâtre populaire n’est pas derrière nous, dans un âge d’or à reconvoquer, à célébrer. Il est à réinventer, dans les institutions et en dehors d’elles. Entre l’expérimentation et un théâtre largement partagé, il n’y a pas incompatibilité, mais complémentarité. L’un se doit à l’autre. Avignon en est un foyer.
“MAIS AVONS-NOUS ENCORE UN PEUPLE ?” JEAN-PIERRE LÉONARDINI critique à « l’Humanité », auteur de « Qu’ils crèvent, les critiques ! » (Les Solitaires intempestifs, à paraître)
La notion de théâtre populaire est liée au Conseil national de la Résistance, à la reconstruction du pays, à Jean Vilar inaugurant un travail sur les grandes oeuvres du patrimoine français et étranger dans un esprit de partage des richesses culturelles. Tout ça ayant commencé clandestinement sous Vichy, à Uriage, chez des intellectuels opposés à la collaboration, qui jetaient les bases d’un régime nouveau pour l’aprèsguerre. Nous avions alors un peuple, certes en ruines, mais dans une époque de reconstruction. Et ça fonctionnait. Je revois les photos bouleversantes de Jean Dasté allant promener Molière ou Brecht dans les campagnes autour de Saint-Etienne. On y voit les visages d’une France qui n’existe plus, des paysans édentés, des enfants Gavroche, des ouvrières qui rient, un peuple qui n’est plus le même aujourd’hui. D’ailleurs, avonsnous encore un peuple ou une population ? Je retiens ce mot de Rosa Luxemburg : « L’art doit être compris par le peuple. » Ça suppose un peuple cultivé. Nous en sommes loin. Nous nous en éloignons même chaque jour davantage. L’individu ne se pense plus collectivement. Le libéralisme a ceci de bon qu’il admet le désir de liberté effrénée de chacun, mais cela se fait au détriment du groupe, du collectif ou de la classe. A partir de là, tout est permis, on arrive au postmoderne (là, je pense à Jan Fabre que je considère comme un escroc international), et l’on ne s’adresse plus qu’à une catégorie de la population. On est loin du rêve généreux des origines d’Avignon. C’est sans doute inévitable. Même si l’on travaille sur l’éducation populaire, on ne peut plus rêver qu’une salle soit pleine de tout le monde. La page est tournée.
“L’ESPRIT POPULAIRE NE SOUFFLE PLUS SUR LE FESTIVAL” PHILIPPE TORRETON
Il y a longtemps que je ne vais plus à Avignon. Le Festival me correspondrait davantage, je m’y rendrais. Cette grosse fête du théâtre m’effraie. Du temps des ex-directeurs Hortense Archambault et Vincent Baudriller, j’ai fait durant un an ou deux partie du conseil d’administration du festival. Je m’y suis senti en porte-à-faux. Partagé entre les desiderata imbéciles de la mairie (qui n’avait qu’un seul critère, faire salle pleine, quitte à inviter Michel Leeb dans la Cour d’Honneur) et la direction du festival, univoque dans sa quête effrénée de la modernité. Car Archambault et Baudriller cloisonnaient une profession qui ne doit pas avoir de cloisons. Je n’aime pas la nomenklatura. Si je fais du théâtre, c’est pour la fuir. Qui suis-je pour imposer mes goûts aux autres ? Tout le monde a droit de cité. Il faut qu’Avignon représente toutes les tendances du moment. Avec Olivier Py, on reste encore dans l’entre-soi. Dans une espèce d’autarcie théâtrale, de consanguinité dangereuse. L’esprit populaire ne souffle plus sur le festival. Pourtant, un spectacle très pointu peut être populaire. Tout tient à la façon de le partager. Pour moi, populaire, ça veut simplement dire accessible. Que personne ne sorte du théâtre en se sentant exclu. Non, le Festival d’Avignon n’est pas aussi populaire qu’avant. En quoi il reflète l’état d’esprit qui règne en ce moment sur le théâtre.
“CE FESTIVAL CRÉE DU DIALOGUE” XAVIER GALLAIS comédien
Avec Vincent Baudriller et Hortense Archambault, Avignon avait amorcé un virage vers un théâtre de recherche parfois clivant. Le festival était devenu la vitrine mondiale des formes expérimentales. On y faisait du théâtre pour initiés, pour spectateurs professionnels. Cela dit, un spectateur néophyte peut apprendre de nouveaux alphabets. C’était sans
doute ça, l’ambition. Après, c’est une question de dosage. Olivier Py, plus proche de Vilar, a le souci d’alterner l’avant-garde et les spectacles plus fédérateurs. Je ne sais pas si Baudriller et Archambault étaient élitistes, mais Py ne l’est pas. Il veut faire un théâtre non pas pour le public, mais avec lui. Ce qui est populaire, c’est ce qui crée de la communauté et, par la richesse de ses propositions, le Festival d’Avignon crée du dialogue. Entre le « in » et le « off », tous les publics peuvent s’y retrouver, discuter, grandir ensemble. Le festival est fait pour ça. C’est une vaste agora.
“OUI, L’AMBITION DE VILAR DEMEURE” PIERRE ARDITI comédien
Le théâtre populaire, c’est quoi? Ce qu’on fait ingurgiter de force à un peuple qui n’a pas voix au chapitre ? Un théâtre qui sert de tract à une idéologie ? Je ne crois pas. Mais je pense qu’il favorise les prises de conscience. Ariane Mnouchkine dit : « Quand des acteurs et un public se rassemblent, s’il n’y a pas un peu d’émotion, à quoi bon être là ? » S’il n’y avait pas d’émotion à Avignon, les gens n’y viendraient pas. Or on peut tout reprocher au festival, sauf d’être déserté. La France est le pays qui a inventé la conversation. A partir du moment où ce qu’on montre ne dialogue pas avec ceux qui regardent, ça ne sert à rien. Passons d’abord par l’émotion, on verra après si les idées tiennent le coup. Y a-t-il assez de diversité dans le « in » ? Le festival est-il aux mains de petits marquis sectaires et snobs? C’est un procès qu’on lui fait depuis des lustres. Depuis que je fais du théâtre, j’entends dire qu’il y a le théâtre bon pour le peuple et celui qui est néfaste. Je me bats contre cette idée fascisante. Pour avoir beaucoup traîné mes guêtres à Avignon, je pense qu’il y subsiste quelque chose de l’ambition de Vilar. « Le théâtre a le droit de s’affirmer comme superflu, étant bien entendu que nous vivons tous pour le superflu. » : cette phrase de Brecht me convient parfaitement.
“J’AI DU MAL À Y TROUVER MON CHEMIN” SONIA DEBEAUVAIS ancienne collaboratrice de Jean Vilar, Paul Puaux, Bernard Faivre d’Arcier et Alain Crombecque au Festival d’Avignon
Avignon reste un festival où peuvent venir des personnes dotées d’un petit salaire. S’il est moins populaire qu’avant, c’est à cause de l’augmentation du prix des places. Heureusement, il y a encore, pour les adultes comme les jeunes, des structures d’accueil à des prix défiant toute concurrence. Le public moyen, ce sont des couples d’instituteurs qui viennent y passer une semaine pendant que leurs enfants sont en colonie de vacances. Le répertoire actuel est-il assez populaire? J’ai du mal à y trouver mon chemin. Le plus marquant cette année, c’est l’importance du théâtre en langue étrangère. Ce qui ne me paraît pas populaire. Dommage. Beaucoup de gens ont du mal à lire les surtitres. Bien sûr que j’ai l’impression que le festival s’éloigne de son objectif premier. Mais il ne faut pas oublier qu’il date de 1947. L’élan de la Libération n’était pas encore retombé, il y avait une vie associative très active. Les choses ont changé, c’est normal. Le festival actuel offre un fidèle reflet de la France d’aujourd’hui.
“IL FAUT ALLER AU-DELÀ DES REMPARTS DE LA VILLE” ROBIN RENUCCI directeur des Tréteaux de France
Il me semble qu’Olivier Py, quand il parle de la culture populaire, reste dans une pensée vilarienne, dans la recherche d’un théâtre qui unit sans renoncer à l’exigence. Il est dans cette lignée politique et artistique. Est-ce le cas des spectacles qu’il accueille? Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais la proposition qu’il m’a faite cette année relève du théâtre populaire (1). En changeant chaque jour d’endroit, dans les villages des alentours, la prison d’Avignon ou d’autres lieux peu fréquentés par les festivaliers, il s’agit bien d’aller, au-delà des remparts de la ville, à la rencontre du public qui manque au théâtre. Vilar avait le souci de mettre en contact un auteur et un public, c’est le but que nous poursuivons. Pas un théâtre de l’obscène, où l’artiste se montre sans se préoccuper du spectateur, mais un théâtre où il converse avec lui. C’est ce à quoi je vais m’efforcer cet été. (1) « L’Enfance à l’oeuvre », spectacle itinérant.
“LE PUBLIC NE DOIT PAS SE SENTIR MÉPRISÉ” CLÉMENT HERVIEU-LÉGER comédien, metteur en scène, pensionnaire de la Comédie-Française
Le spectacle que je présente cette année me paraît tout à fait populaire (1). La ligne choisie par Olivier Py me semble aller dans ce sens. J’ai participé aux « Damnés » l’an dernier. Malgré l’exigence d’Ivo van Hove, c’était un très grand spectacle populaire. Et le retour de la Comédie-Française dans la Cour d’Honneur était un acte fort : c’est une institution qui appartient à tous. Après, est-ce qu’on cherche à faire un théâtre accessible au plus grand nombre et qui permet de réfléchir, ou un théâtre facile? On peut porter le public au plus haut, c’est ce qu’il attend. Il ne doit jamais se sentir méprisé. Avignon, c’est très particulier. Tout le monde connaît le festival, au moins de réputation. C’est surtout dans le rapport avec le public qu’il faut se montrer vigilant. Py y est attentif. Par exemple dans sa manière d’intégrer des spectacles pour la jeunesse, ou des lieux qui ne sont pas destinés au théâtre. Ou encore de permettre à une école, en l’occurrence le Conservatoire, de prendre ses quartiers d’été à Avignon pour présenter les acteurs de demain. Sans oublier le feuilleton théâtral gratuit qui interroge les grands textes constitutifs de notre mémoire politique. Ça aussi, c’est une manière de faire du théâtre populaire. Evidemment ce serait mentir que de dire qu’on a le même public dans le « in » et le « off ». Le « in » attire un public non pas branché mais averti, qui va beaucoup au théâtre. Le « off », des gens qui n’y vont pas durant l’année. Mais la taille de certains lieux du « in », la Cour d’Honneur par exemple, permet un brassage : j’ai vu des lycéens faire la queue, des heures, pour obtenir une place pour « les Damnés ».