PS Ciao Solférino
Au PS, c’est l’heure des comptes. A Paris comme en province, on évalue et on licencie. Le siège de la rue de Solférino, en cours d’estimation, pourrait rapporter de 50 à 70 millions d’euros. Revue de détail
Les traits tirés, encore sonné, Jean-Marc Germain s’éclipse par une porte dérobée du siège du PS. En ce lundi 12 juin, au lendemain de la déroute de son parti au premier tour des élections législatives, le député sortant et déjà éliminé ne prend pas la peine d’assister à la fin du bureau national. « Il n’y avait quasiment personne, se justifie-t-il. Les battus sont nombreux, et peu avaient envie de venir. Ça se comprend… » Mais, comme un soldat défait et néanmoins heureux d’être toujours en vie, il voit une raison de se réjouir de son sort : « Moi, au moins, je serai remboursé de mes frais de campagne. » Tous ses camarades ne sont pas dans ce cas. La bérézina socialiste est telle que plus de 80 candidats ont réuni moins de 5% des su rages, seuil fatidique pour prétendre au remboursement des dépenses engagées. Derrière le parti, il y a des hommes et des femmes qui pourraient être contraints de débourser leurs deniers personnels. « On va discuter avec les fédérations départementales pour que tous ne supportent pas le coût de la défaite », explique le trésorier national, Jean-François Debat. Qui prévient cependant : « Ce sera du cas par cas. Rien que dans ma fédération de l’Ain, un candidat a dépensé 800 euros quand un autre a engagé plus de 18 000 euros de frais ! »
C’est tout le parti qui va subir une cure drastique. Avec 30 députés à l’arrivée, le PS divise ses e ectifs à l’Assemblée nationale par dix par rapport à 2012. Pis, il bat le triste record de 1993, quand les socialistes, donnés pour morts, ne comptaient plus que 57 représentants au Palais-Bourbon.
18 MILLIONS DE MOINS PAR AN
Pour comprendre l’ampleur du marasme, il faut connaître l’importance des revenus issus des élections législatives. 1,42 euro par voix, 37 280 euros par élu. Et ce chaque année pendant cinq ans. « La dotation annuelle va passer de 25 à 7 millions, a vite fait de calculer Debat. La perte de recettes est plus importante que dans le pire des scénarios imaginés. » Soit 90 millions en une législature. Sans compter que les députés socialistes versent aussi une cotisation de 500 euros par mois. 7,5 millions supplémentaires s’envolent ainsi. Le PS ne pourra pas non plus compter sur le secours de ses adhérents, qui fondent plus rapidement qu’un glaçon sous le soleil caniculaire de ce mois de juin. « Selon les estimations, la chute est de 50000 adhérents. On devrait être à 80 000 à la fin de l’année », avance Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire démissionnaire. D’autres sont moins optimistes et tablent sur 40 000 tout au plus. N’en jetez plus, la coupe est vide.
Au printemps 2015, après avoir déjà perdu toutes les élections intermédiaires, le même Cambadélis alertait : « Je ne suis pas inquiet pour les finances du parti à court terme, mais à long terme, oui. Pour l’instant, on n’a pas de problème d’argent car on est financés par les voix obtenues aux élections législatives. Mais si François Hollande est battu en 2017… » En 2017, François Hollande ne s’est même pas présenté. Et le candidat socialiste de substitution, Benoît Hamon, n’a recueilli que 6% des su rages. Pour autant, les instances dirigeantes se veulent rassurantes. « Nous ne sommes pas à la rue parce que nous n’avons pas de dettes, a rme le trésorier. Par ailleurs, nous avons un patrimoine qui peut être utilisé pour amortir le choc. » Ce patrimoine, c’est en premier lieu le siège du parti, un hôtel particulier situé rue de Solférino, dans le très chic 7e arrondissement de Paris. Selon nos informations, il est en cours d’évaluation, à la demande de la direction. Son prix pourrait osciller entre 50 et 70 millions d’euros. Deux hypothèses sont envisagées, d’après Jean-François Debat : « Soit une vente, soit une hypothèque pour obtenir un prêt. »
LOCAUX À VENDRE
Le patrimoine du parti n’est toutefois pas que parisien. « Ces dernières années, le PS a racheté de nombreuses SCI [sociétés civiles immobilières, NDLR] détenant tout ou partie du siège des fédérations », se félicite Jean-Christophe Cambadélis. Mais dans les départements aussi, les finances socialistes sont exsangues. Partout, on cherche à faire des économies, quitte à entrer en conflit avec le « national ». La fédération des Bouchesdu-Rhône a ainsi annoncé qu’elle allait mettre en vente son siège marseillais, acquis il y a plus de trente-cinq ans. Un bâtiment de 1 400 mètres carrés estimé à 3,5 millions d’euros. Sauf que Solférino
met son veto. « Le parti est majoritaire, Marseille ne peut pas vendre sans notre accord », tonne Cambadélis, qui menace d’aller en justice. Dans le Nord, en revanche, les caisses de la fédération sont en passe d’être renflouées en concertation avec le parti. Grevé à hauteur d’un million d’euros à l’issue des calamiteuses élections départementales de 2015, le budget devrait bientôt repasser dans le vert. Si l’appel aux dons n’a permis de récolter que 25 000 euros, « l’acte de vente d’une partie du siège va être signé à la fin de l’été », annonce à « l’Obs » la première secrétaire fédérale, Martine Filleul. Prix de vente : 750 000 euros. Les économies sont également faites sur le dos des permanents. Sur les sept salariés que comptait la fédération nordiste il y a encore deux ans, il n’en reste plus que quatre. L’un d’eux a fait l’objet d’un licenciement économique, deux autres sont partis à la retraite sans être remplacés.
Une catastrophe sociale que s’apprêtent à vivre les 120 permanents de Solférino, qui devrait venir conclure « un an et demi de fronde larvée », selon les termes de l’un d’eux. A majorité hamonistes, ils se sont opposés, toute la fin du quinquennat durant, à la direction légitimiste. Dénonçant « une pression de plus en plus forte et un mépris de plus en plus manifeste », la section CGT, majoritaire au PS, avait adressé une lettre au premier secrétaire, le 11 avril 2016, pour s’alarmer du « profond mal-être au travail qu’illustre parfaitement la multiplication des arrêts de travail et départs volontaires dont pâtit aujourd’hui le parti ». A en croire plusieurs salariés, la situation n’a guère changé. Début mai, alors que des articles de presse reprenaient des propos du trésorier, parlant d’« économies drastiques » à venir et de passage en revue des « di érents postes » au parti, les permanents avaient convoqué une assemblée générale. Jean-François Debat avait alors a rmé qu’il s’agissait de « postes budgétaires ». Sans convaincre grand monde dans l’auditoire…
LES SALAIRES PAYÉS “AU MOINS JUSQU’EN OCTOBRE”
Les salariés attendaient beaucoup du comité d’entreprise qui s’est tenu mardi 27 juin. Mais la direction s’est bornée à les informer de la situation financière de l’entreprise socialiste. « Forcément, des décisions vont être prises », a rme Frédéric Bonnot, le secrétaire général administratif du PS. D’autant que la masse salariale des permanents s’élève à 11 millions d’euros, à mettre en rapport avec les 55 millions de budget annuel du parti avant la défaite aux élections législatives. « Mais ces décisions n’interviendront qu’en fin d’année », ajoutet-il. Ce que confirme Jean-Christophe Cambadélis : « Le problème, c’est qu’il faut réfléchir avant à la manière dont le parti va maintenant fonctionner. Mais on a de quoi les payer au moins jusqu’en octobre. » En attendant, les permanents ne sont pas dupes. « Même si le rôle du parti est plus important en période d’opposition, on ne se fait pas beaucoup d’illusions, concède un syndicaliste. Personne ne pense qu’il n’y aura pas de plan social. » Ils pourront toutefois compter sur le soutien de certains cadres du parti. A l’image de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, qui prévient : « J’ose espérer que la solidarité fera en sorte que les salariés n’aient pas à payer les pots cassés de la situation actuelle! » Il existe encore des socialistes pour s’opposer à un plan social.