L'Obs

IMMINENTE, LA CHUTE DE LA MAISON TRUMP ?

Un entourage trouble, des scandales financiers, des relations opaques avec la Russie… Toutes ces affaires sont au coeur des “Dossiers noirs de Donald Trump”, publiés par les Editions Nouveau Monde. Extraits exclusifs

- PHILIPPE BOULET-GERCOURT

Pendant toute sa campagne et le début de sa présidence, ils lui ont glissé dessus comme la pluie sur les plumes d’un canard. Plus maintenant : les « Dossiers noirs » (1) de l’homme d’affaires Donald Trump rattrapent le président Donald Trump, certains sont même devenus partie intégrante de l’enquête dirigée par le procureur spécial Robert Mueller sur la possibilit­é d’une collusion entre la Russie et la campagne de Trump en vue d’influencer l’élection de 2016.

Connexions tortueuses, argent russe en quête de blanchimen­t, seconds rôles mafieux, femmes fatales, rixes de bar, balafres et menaces lugubres… Tout y est. Et l’idée de revenir sur ces « Dossiers noirs », en republiant certaines enquêtes de presse américaine­s et en y ajoutant quelques récapitula­tifs originaux, ne peut qu’être saluée. On regrettera ici ou là un manque de prudence dans le traitement d’informatio­ns explosives mais non prouvées, comme le fameux « rapport Steele » et les supposées galipettes sexuelles de Trump à Moscou. Enfin, s’il est vrai que la presse américaine a tardé à fouiller de fond en comble le passé du candidat Trump, elle a effectué et continue d’effectuer un travail remarquabl­e – jusqu’à ces derniers jours, avec une enquête révélatric­e de Bloomberg sur la société Bayrock et l’ex-associé éminemment louche de Trump, Felix Sater.

C’est sur ces dossiers que se penchent, aujourd’hui, une quinzaine de limiers hors pair recrutés par Robert Mueller. Et ce sont eux, peut-être, qui signeront la chute de la maison Trump. (1) « Les Dossiers noirs de Donald Trump », édité sous la direction d’Yvonnick Denoël, Nouveau Monde Editions, 17,90 euros.

ROY COHN, LE MAUVAIS GÉNIE DE DONALD TRUMP S’il est un magouilleu­r qui a rejoint dès son plus jeune âge le côté obscur de la force, c’est bien Roy Cohn. Tout est à jeter chez cet avocat américain né en 1927 à New York. Tricheur, menteur, lié à la mafia, véreux jusqu’au trognon, violent…

L’homme est surtout l’âme damnée de Donald Trump. L’éminence grise qui a fait du jeune NewYorkais mal dégrossi l’un des candidats les plus démagogues et populistes que la course à la Maison-Blanche ait jamais connus, dans la droite ligne du maccarthys­me…

Au milieu des années 1970, Cosa Nostra règne sur New York. Et les premiers clients de maître Cohn sont les principaux parrains de la ville : « Fat » Tony Salerno, Carmine Galante dit « le Cigare », et Paul Castellano, le chef du clan Gambino, le plus important du pays.

Par la suite, l’avocat représente­ra aussi le plus fou de tous les chefs de famille, John Gotti, surnommé « Don Teflon » parce que les condamnati­ons et les balles semblaient glisser sur lui.

Un soir d’octobre 1973, entouré d’une cour de beaux jeunes gens, Roy Cohn se trouve au Club, une des boîtes de nuit les plus en vue de New York. Un jeune promoteur immobilier l’aborde, il s’appelle Donald Trump. Lui et son père sont accusés de discrimina­tion raciale par le gouverneme­nt américain. Accusation­s fondées, les Noirs qui cherchent un logement ne sont pas les bienvenus dans les immeubles de la famille. Que faire ?

« Mon conseil…, dit Roy Cohn, qu’ils aillent se faire foutre. Envoyez-les péter et attaquez-les devant les tribunaux. »

Le jeune promoteur immobilier ne cache pas son plaisir. Voilà un homme comme il les aime, un homme qui n’a peur de rien avec son franc-parler et sa mauvaise foi en béton. « Je vous embauche », lui répond-il. Et c’est parti. A compter de ce jour, Roy Cohn représente­ra Donald Trump dans toutes les grandes batailles judiciaire­s de sa vie. Des journalist­es s’intéressen­t d’un peu trop près à ses affaires ? Ils sont systématiq­uement traînés devant les tribunaux pour diffamatio­n. Trump s’enorgueill­ira même d’avoir mis un reporter sur la paille. Roy Cohn engrange les honoraires – 50 000 dollars par dossier (une fortune pour l’époque) – et Donald Trump les victoires.

Retour en 1973. Donald Trump a 27 ans et ne connaît pas grand-chose de la vie new-yorkaise. Il a fait ses classes dans l’entreprise fondée et dirigée par son père. De vingt ans son aîné, Roy Cohn est au faîte de sa puissance.

Les soirées somptueuse­s qu’il organise chez lui ou dans les boîtes de nuit qu’il fréquente en font la coqueluche de Big Apple,notamment au Studio 54. Situé au 254 West 54th Street entre la VIIIe Avenue et Broadway, l’endroit se voulait « la plus grande boîte de nuit de tous les temps ».

Roy Cohn est l’avocat des patrons de la boîte, Steve Rubell et Ian Schrager. Il y est comme à la maison. Parfois il joue le rôle de maître des lieux, décidant qui peut entrer ou pas. Mais généraleme­nt il fait la fête en compagnie de sa cour d’éphèbes et d’aficionado­s.

Parmi eux, le couple Trump. « Ce qui s’est passé au Studio 54 ne se reproduira jamais, a déclaré Trump à l’écrivain Timothy O’Brien. Tout d’abord, vous n’aviez pas le sida. Vous n’aviez pas les problèmes que vous avez maintenant. J’ai vu des choses que je n’ai jamais revues à ce jour. J’ai vu des mannequins se faire baiser devant tout le monde. » Après avoir introduit Trump dans la jet-set, Roy Cohn va lui remettre les clés de la ville et du pays.

La scène suivante a lieu en 1979 à la veille de l'élection présidenti­elle. Roger Stone, l’un des lobbyistes les plus puissants du Parti républicai­n, se rend dans le luxueux appartemen­t de Roy Cohn à Manhattan. Il veut son appui dans le cadre de la campagne de Ronald Reagan.

Cohn est assis à sa table de la salle à manger, dans un peignoir de soie. Dans une assiette, il y a du

bacon et du fromage à la crème que l’avocat mange avec ses doigts. A ses côtés, un gros homme au souffle lourd. « Monsieur Stone, je vous présente Tony Salerno », lui dit Cohn.

Roger Stone salue le personnage. Il n’ignore pas qu’il a devant lui l’un des parrains de la branche Cosa Nostra de New York. Surnommé le « Gros Tony », c’est le chef de la famille Genovese, l’une des plus influentes du pays. Pour le FBI, c’est même l’un des plus puissants et des plus riches gangsters de l’histoire de la mafia américaine depuis Al Capone.

Le boss de la mafia et l’avocat ont longuement écouté Roger Stone leur expliquer son plan de campagne destiné à porter Ronald Reagan à la Maison-Blanche. Pour y parvenir, il lui faut avant tout de l’argent, beaucoup d’argent.

« Tu dois rencontrer Donald Trump et son père, lui assure Cohn. Ils sont parfaits pour ce que tu veux. Laisse-moi organiser une réunion. »

C’est ainsi que Donald Trump contribua à porter Ronald Reagan à la Maison-Blanche. COMMENT TRUMP A VIOLÉ L’EMBARGO AMÉRICAIN CONTRE CUBA Une société contrôlée par Donald Trump a secrètemen­t mené des affaires à Cuba sous le régime communiste de Fidel Castro, malgré l’interdicti­on très stricte qui rendait illégal ce genre de commerce. C’est ce que révèlent des entretiens accordés par d’anciens collaborat­eurs de Trump, ainsi que l’étude des archives internes de l’entreprise et de procédures judiciaire­s.

Des documents montrent que la société Trump a dépensé un minimum de 68 000 dollars pour son incursion cubaine de 1998, à une époque où aucune entreprise n’avait le droit de dépenser un cent dans l’île sans l’aval du gouverneme­nt américain. La société n’a d’ailleurs pas dépensé cette somme directemen­t. Avec l’approbatio­n de Trump, des cadres ont fait transiter l’argent nécessaire par un cabinet de consultant­s, Seven Arrows Investment & Developmen­t. Après que les consultant­s furent allés à Cuba et eurent effectué les dépenses voulues pour l’entreprise, Seven Arrows indiqua à de hauts responsabl­es de la société, qui s’appelait alors Trump Hotels & Casino Resorts, comment donner à l’opération une apparence de légalité en l’associant après coup à une action caritative.

Ce paiement par Trump Hotels eut lieu juste avant que le magnat new-yorkais ne recherche l’investitur­e par le Reform Party, lors de sa première campagne pour la Maison-Blanche. Dès le premier jour, il se rendit à Miami, où il s’adressa à un groupe de Cubano- Américains, électorat critique dans un Etat clé. Trump jura de maintenir l’embargo contre Cuba et de ne jamais y dépenser son argent ou celui de ses entreprise­s tant que Fidel Castro n’aurait pas été écarté du pouvoir. Il ne révéla pas que, sept mois auparavant, Trump Hotels & Casino avait remboursé ses consultant­s pour l’argent dépensé au cours de leur voyage d’affaires secret à La Havane.

Après la publicatio­n de cet article sur Newsweek. com, Kellyanne Conway, directrice de campagne de Trump, fut interrogée sur ces allégation­s lors de l’émission télévisée « The View ». Elle répondit : « Ils ont versé de l’argent en 1998, à ce que je comprends »,

mais poursuivit en disant que Trump n’avait jamais investi dans l’île. Dans cette déclaratio­n, elle admettait que Trump avait violé la loi. Le financemen­t de ce voyage d’affaires et des rendez-vous à Cuba – qu’ils aient ou non débouché sur un investisse­ment supplément­aire ou sur un accord pour l’ouverture d’un casino – constitue une infraction directe. LA “TRUMP ORGANIZATI­ON” ET LES BANQUIERS IRANIENS De 1998 à 2003, la société immobilièr­e de Donald Trump a loué des bureaux à une banque iranienne que les autorités américaine­s associent à plusieurs groupes terroriste­s et au programme nucléaire de l’Iran.

Selon des archives examinées par le Consortium internatio­nal des Journalist­es d’Investigat­ion (ICIJ) et par le Centre d’Intégrité publique, Donald Trump a hérité d’un locataire bien particulie­r lorsqu’il a fait l’acquisitio­n du General Motors Building, immeuble situé sur la Ve Avenue : la Bank Melli, l’une des principale­s banques d’Etat iraniennes. Et la Trump Organizati­on a conservé ce locataire pendant quatre ans après que le départemen­t du Trésor a signalé, en 1999, que cette banque était contrôlée par le gouverneme­nt iranien.

Des hauts fonctionna­ires américains ont ensuite affirmé que Bank Melli avait été utilisée afin d’obtenir du matériel sensible pour le programme nucléaire de l’Iran. Selon les autorités des EtatsUnis, cette banque a permis, entre 2002 et 2006, de faire parvenir des fonds à une unité de la Garde révolution­naire iranienne qui parrainait des attentats terroriste­s, période qui correspond en partie à celle pendant laquelle Trump lui louait des bureaux.

Les rapports de la Trump Organizati­on avec la banque iranienne éclairent les intérêts économique­s de Donald Trump, qui vont parfois à l’encontre de ses déclaratio­ns à l’emporte-pièce durant la campagne présidenti­elle. Trump a dénoncé l’Iran comme un « grand ennemi », a reproché à Hillary Clinton de ne pas avoir adopté une ligne plus dure contre le régime iranien et a soutenu que les dons de gouverneme­nts étrangers à la Clinton Foundation équivalaie­nt à une preuve de corruption. Les cinq années pendant lesquelles il eut Bank Melli pour locataire montrent comment la Trump Organizati­on a elle-même fait des affaires avec un gouverneme­nt hostile aux Etats-Unis.

Un document judiciaire obtenu par l’ICIJ indique que le loyer de Bank Melli, pour plus de 750 mètres carrés au 44e étage du General Motors Building, s’élevait peut-être à plus d’un demi-million de dollars par an. KOMPROMAT. TRUMP ET LA RUSSIE A peine élu, le président des Etats-Unis se trouve accusé de collusion avec la Russie. Un tel scénario semblait réservé aux romans de Tom Clancy ou à la série télévisée « 24 Heures chrono ». Et pourtant, avec Donald Trump, tout semble possible.

Si le FBI et le Sénat veulent faire toute la lumière sur les liens entre Trump et les oligarques russes, ils devront également scruter certains réseaux méconnus développés par le gendre de Trump, Jared Kushner. Ils s’intéresser­ont notamment à deux figures clés de l’entourage de Poutine : les oligarques Roman Abramovitc­h et Lev Leviev.

A la demande du chef de l’Etat russe, ils sont l’un et l’autre devenus des mécènes du mouvement fondamenta­liste juif hassidique Chabad (à l’époque assez confidenti­el) pour le transforme­r en Fédération des Communauté­s juives de Russie. Le mouvement Chabad se veut traditiona­liste, mais plus souple dans l’observance des obligation­s religieuse­s, et aussi plus joyeux dans son rite (on le compare parfois aux évangélist­es). L’idée de cette OPA était de supplanter l’organisati­on du culte judaïque russe, jugée insuffisam­ment sûre par Poutine. Chabad fut placé sous la direction du rabbin Berel Lazar, bientôt surnommé le « rabbin de Poutine » et brocardé pour son soutien sans faille au chef de l’Etat. L’antenne

new-yorkaise de Chabad, très active, comptait parmi ses bienfaiteu­rs le milliardai­re diamantair­e israélien d’origine russe, Lev Leviev, très proche de Poutine. En 2007, Leviev fit célébrer le mariage de son bras droit chez Trump, à Mar-a-Lago.

Trump, Kushner (fiancé à Ivanka) et Leviev commencère­nt à se fréquenter. La famille de Jared Kushner figurait elle aussi parmi les bienfaiteu­rs de Chabad. En mai 2015, Kushner racheta à Leviev un immeuble de 295 millions de dollars. De son côté, Ivanka, la fiancée de Jared, devint très amie avec Dasha Zhukova, l’épouse de Roman Abramovitc­h. C’est ainsi qu’une grande familiarit­é s’est créée entre les Trump, les Leviev et les Abramovitc­h. En 2006, Abramovitc­h est devenu actionnair­e du géant pétrolier Rosneft, société qui pourrait comme on l’a vu avoir joué un rôle clé dans la collusion entre Trump et la Russie et retient fortement l’attention du FBI. L’épouse d’Abramovitc­h, Dasha Zhukova, est devenue une intime des époux Kushner, mais aussi de leur amie Wendi Deng (l’ex-femme de l’empereur des médias Rupert Murdoch). Réputée amatrice d’hommes de pouvoir, Wendi Deng aurait selon Politico une liaison avec Poutine. Dasha Zhukova a assisté aux cérémonies d’investitur­e de Donald Trump comme invitée personnell­e d’Ivanka. Lorsque, en pleine bagarre entre la Maison-Blanche et le Congrès sur la réforme de l’Obamacare, les époux Kushner sont partis skier dans la station huppée d’Aspen (Colorado), les époux Abramovitc­h se sont envolés dans leur jet privé pour passer le week- end avec eux, ce dont le FBI et la CIA ont pris bonne note. Le président Trump a demandé pour Ivanka et Jared Kushner une accréditat­ion leur donnant accès aux documents les plus confidenti­els de la Maison-Blanche, ce qui n’a pas été du goût des services secrets… C’est donc une ligne de communicat­ion assez ouverte qui s’est tranquille­ment installée entre la Maison-Blanche et le Kremlin. Les nombreux commentate­urs politiques qui voient Ivanka et Jared comme une présence rassurante et modératric­e au milieu de conseiller­s fanatisés du type Steve Bannon pourraient bien déchanter. Le 23 mai,

8 JUIN James Comey est entendu par la commission du Renseignem­ent du Sénat. Il accuse entre autres le président et son administra­tion de « mensonges » et de diffamatio­n à son encontre.

au cours d’une audition devant le Congrès, l’ancien patron de la CIA sous Obama, John Brennan, a affirmé avoir eu connaissan­ce d’« informatio­ns et de renseignem­ents qui révélaient des contacts et des interactio­ns entre des responsabl­es russes et des personnes américaine­s impliquées dans l’équipe de campagne de Trump ». « Cela m’a préoccupé, car on connaît les tentatives russes pour s’acheter de tels individus. » Au même moment, Jared Kushner est officielle­ment devenu une des cibles de l’enquête du FBI. Le service s’intéresse notamment à ses rencontres en décembre 2016 avec l’ambassadeu­r russe et avec le patron d’une banque russe visé par les sanctions américaine­s mises en place après la crise ukrainienn­e : Sergueï Gorkov. A son tour, Kushner pourrait voir ses affaires immobilièr­es passées au crible.

15 JUIN Selon le « Washington Post », le procureur spécial Robert Mueller enquête sur une possible entrave à la justice de la part de Donald Trump, dans l’affaire de l’ingérence russe dans l’élection présidenti­elle.

 ??  ?? Ivanka et son mari Jared Kushner, désormais conseiller du président.
Ivanka et son mari Jared Kushner, désormais conseiller du président.
 ??  ?? Mar-a-Lago, la résidence de Donald Trump à Palm Beach, en Floride.
Mar-a-Lago, la résidence de Donald Trump à Palm Beach, en Floride.
 ??  ??
 ??  ?? Donald Trump, à la MaisonBlan­che, le 1er juin.
Donald Trump, à la MaisonBlan­che, le 1er juin.
 ??  ?? Ivanka Trump, entourée de l’exfemme de Rupert Murdoch et de l’épouse de l’oligarque Abramovitc­h, en 2016.
Ivanka Trump, entourée de l’exfemme de Rupert Murdoch et de l’épouse de l’oligarque Abramovitc­h, en 2016.

Newspapers in French

Newspapers from France