L'Obs

A chacun son costume

Où l’on voit que certains sont habillés pour l’hiver, d’autres pour l’été

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Le roi Salmane d’Arabie, qui se fait vieux, dont le neveu Mohammed ben Nayef révisait bien ses bouquins d’économie pour lui succéder bientôt, il vient de jouer un vilain tour, le roi Salmane, à ce neveu. Au lieu que ce soit ce neveu qui lui succède, comme c’était prévu de longue date, le roi Salmane a décidé que son fils Mohammed lui succéderai­t. Pour le peuple, ce sera toujours un Mohammed, Mohammed ben Salmane al-Saoud à la place de Mohammed ben Nayef al-Saoud. Un Saoud sur le trône, comme d’habitude, l’objet de la manoeuvre étant que dans l’un et l’autre cas de succession, l’Arabie conserve son beau nom d’Arabie saoudite. Sagesse élémentair­e d’une dynastie et, ici, prudence d’un roi : son fils à la place du neveu, ça restera encore plus dans la famille.

Attendra-t-il de mourir pour céder sa place, le roi Salmane ? Prendra-t-il sa retraite pour profiter de la vie ? Tout ce qu’il pourrait faire, avec son pognon, et qu’il a pas le temps ! Rappelez-vous ses vacances au mois d’août d’il y a deux ans. On lui avait privatisé une plage publique de Golfe-Juan, on l’avait laissé y construire un ascenseur pour descendre directemen­t de sa villa dans l’eau et remonter directemen­t s’essuyer chez lui. Eh bien ! il y était resté deux jours, à Golfe-Juan, tellement d’autres endroits féeriques l’attendaien­t, dont il tenait à profiter aussi, fût-ce comme là un tout petit peu. Tristesse du riche. Tristessim­e du richissime.

Ces quatre-ci sont en retraite. Dans les Alpes-Maritimes. Ils pourraient, s’ils voulaient, se baigner tous les jours à Golfe-Juan. Ils ont préféré aider six pauvres gars arrivés d’Erythrée et du Tchad dans la vallée de la Roya, quelque part au-dessus de Menton et de Vintimille, les prendre en voiture pour les conduire jusqu’à Nice. Des pauvres gars musulmans, peut-être bien, comme le roi Salmane. Oh ! nos retraités ne faisaient pas le taxi, c’était tout bénévole. Ils ne se faisaient même pas rembourser le pétrole. Présentés à la justice, après qu’un patriote les a dénoncés, ils ont écopé d’une amende de 800 euros chacun. Pas la ruine, encore que pour un retraité, et en plus avec sursis, alors c’est le principe. Ils font appel. Ils ont raison. Si on ne peut plus exercer la solidarité, l’entraide, la charité, la fraternité, la générosité, la compassion, son devoir d’être humain, c’est le vocabulair­e qui s’appauvrit, on devient vieux avant l’âge.

Des procès durent des semaines. Ces dernières semaines, à Paris, passait devant les Assises un réseau terroriste islamiste. L’ultime journée fut épuisante. La canicule était à son pic. Après avoir hésité les jours précédents, le président de la Cour y céda et les magistrats siégèrent sans leurs robes. Les avocats en étaient dispensés. Ils ne se firent pas prier, à part ceux qui devaient plaider, qui tinrent à conserver le décorum, et de même les représenta­nts du ministère public. Cette Cour spécialisé­e ne comprend pas de citoyens jurés. On restait entre profession­nels mais, pour le public, c’était une occasion de voir enfin comment ils sont habillés, les juges, sous leur costume. Col ouvert, sans cravate. Comme au guichet de la Sécu. Hé bé. Pourquoi n’ont-ils pas plutôt porté leurs robes sans rien dessous ? Une fois assis derrière leur table, à l’abri des regards, hop, ils s’aéraient à l’aise.

A l’aise vis-à-vis des juges, c’est Sager al-Hashash, citoyen koweïtien. Il est vrai qu’il s’exprime sur Twitter où on n’a pas les bonshommes devant soi. Il y a deux ans et demi, Sager al-Hashash avait pris 20 mois de prison, pour insulte à l’émir, et le voilà de nouveau devant un tribunal. Encore pour insulte. Vingt mois ne lui avaient donc pas su ? Il a ré-insulté l’émir ? Que non, que non ! Cette fois, ce n’était pas l’émir qui était insulté, c’était la justice. Pour le coup, les juges ne rigolent plus. Il a pris 15 ans.

La canicule était à son pic, les magistrats siégèrent sans leurs robes.

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