L'Obs

Le siècle McCullers

FRANKIE ADDAMS, LE COEUR EST UN CHASSEUR SOLITAIRE, REFLETS DANS UN OEIL D’OR, LA BALLADE DU CAFÉ TRISTE, L’HORLOGE SANS AIGUILLES, PAR CARSON MCCULLERS, STOCK, CHAQUE LIVRE 20 EUROS.

- DIDIER JACOB

Elle a 23 ans quand elle publie, en 1940, son premier roman, « Le coeur est un chasseur solitaire ». Immense succès. C’est, dira son vieil ami Tennessee Williams, l’histoire de « l’amitié platonique mais passionnée d’un sourd-muet pour un débile mental ». Le livre montre une si grande et inhabituel­le tendresse pour les laissés-pour-compte qu’il emballe les critiques blasés comme les lecteurs avertis. Pour fêter le centenaire de Carson McCullers (en 1959, photo), les Editions Stock rééditent cinq textes phares de la romancière, préfacés par Arnaud Cathrine, Véronique Ovaldé ou Nelly Kaprièlian. Dans son introducti­on à « la Ballade du café triste », Eva Ionesco raconte comment elle a volé, dans une soirée, un livre rose de la Cosmopolit­e sans rien savoir de son auteur. C’était « Frankie Addams ». Eva venait d’avoir 16 ans. Elle a commencé à dévorer le livre dans le métro, en rentrant dans son studio de la porte de Vitry. Et elle en est devenue dingue. « Frankie » n’a jamais cessé, depuis, de traîner sur sa table de chevet. De quoi sont donc constitués ces globules miraculeux qui courent dans le sang de l’une des oeuvres romanesque­s les plus fascinante­s du xxe siècle ? Une étrange manière de conjuguer affection et détestatio­n à l’endroit du Sud profond des Etats-Unis dont elle est originaire (Géorgie). Faulkner, déjà, avait remué le couteau dans cette plaie. Chez Carson McCullers, les étés chauffés à blanc et les villes saupoudrée­s de poussière forment un décor propice à tous les drames, comme la caserne de « Reflets dans un oeil d’or ». Le génie de Carson, c’est cet oeil qui lui fait dire la réalité autrement. C’est aussi cette compassion sans mièvrerie dans la peinture de la misère et du déclasseme­nt. « Je voudrais être n’importe qui excepté moi », lit-on dans « Frankie Addams », préfiguran­t le malaise existentie­l qui fera la fortune des artistes à partir des années 1960. Nul n’a jamais mieux parlé des tourments de l’adolescenc­e, car elle les a vécus elle-même, elle a tout compris avant les autres.

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