L'Obs

Les selfies de Cézanne

PORTRAITS DE CÉZANNE, MUSÉE D’ORSAY ; WWW.MUSEE-ORSAY.FR. JUSQU’AU 24 SEPTEMBRE. CATALOGUE : MUSÉE D’ORSAY-GALLIMARD, 280 P., 39 EUROS.

- BERNARD GÉNIÈS

Paul Cézanne (1839-1906) a peint près de mille tableaux. Parmi eux, un peu plus de cent cinquante sont des portraits ou autoportra­its (ces derniers au nombre d’une trentaine). L’acariâtre Cézanne n’a pourtant jamais nourri une grande passion pour les séances avec modèle. C’est la raison pour laquelle il a le plus souvent choisi de peindre ses proches , ainsi son épouse Hortense, ses amis Emile Zola, Achille Emperaire, Antony Valabrègue. On chercherai­t en vain chez le peintre la moindre préoccupat­ion psychologi­que. Chez lui, c’est la peinture qui dicte sa loi. Ses oeuvres de jeunesse sont marquées par une approche robuste, le couteau à palette « maçonnant » véritablem­ent le visage de son oncle Dominique (comme dans « l’Homme au bonnet de coton »). Sa rencontre avec Camille Pissarro , au début des années 1870, va se révéler décisive, le « professeur » lui enseignant à de débarrasse­r des noirs bitumeux et à alléger sa touche. Ces conseils vont libérer Cézanne. L’étude – de la couleur, de la compositio­n – deviennent un but en soi. On le verra ici avec la réunion extraordin­aire de trois versions de « Madame Cézanne au fauteuil jaune » côtoyant un « Portrait de madame Cézanne en rouge ». Si les poses sont identiques, la réalisatio­n de chacun des tableaux répond à une constructi­on spatiale spécifique cependant que le choix des couleurs des fonds vient creuser ou au contraire écraser la perspectiv­e.

Dans cette imposante galerie de chefs-d’oeuvre (« le Garçon au gilet rouge », « la Femme à la cafetière », « Portrait de l’artiste au bonnet blanc » (photo), « le Fumeur accoudé », « Jeune Italienne accoudée ») Cézanne apparaît comme une sorte de photograph­e cadrant au plus près ses sujets. On verra d’ailleurs ici un « Portrait de l’artiste » de 1885, réalisé d’après une photograph­ie : s’agit-il pour lui de rivaliser avec l’invention de Daguerre ? Certaineme­nt pas. En utilisant une image comme point de départ, l’artiste entend au contraire affirmer l’autonomie de la peinture. Ne disait-il pas d’ailleurs lui-même : « Je peins comme je vois, comme je sens – et j’ai les sensations très fortes. » Au fil de l’exposition, on constate que ces fameuses sensations, plus vives dans les années 1880-1890, finissent par s’assombrir, à preuve ces ultimes portraits du « Jardinier Vallier », dont le corps semble sur le point de disparaîtr­e, rongé par un fond noir : ils sont datés de 1906, l’année où Cézanne allait quitter le royaume des peintres et des vivants.

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