VACCINATION : POUR UN CARNET DE SANTÉ NUMÉRIQUE
Vaccin ou non? La question ne devrait pas se poser tant la réponse est univoque : les vaccins ont sauvé des centaines de millions de vies dans le monde; leurs effets secondaires sont rarissimes, connus et maîtrisés. Mais faut-il pour autant rendre plus de vaccins obligatoires? C’est en réalité dans la formulation même de cette mesure qu’il faut chercher l’origine de la controverse.
Pendant longtemps, le meilleur moyen de maximiser l’impact d’une mesure de santé publique a bien été de la rendre obligatoire et de la pratiquer uniformément sur l’ensemble de la population. Il y eut le verre de lait qu’on servait tous les jours aux écoliers pour (disait-on) qu’ils absorbent plus de calcium. Il y eut, en 2009, la tentative (maladroite et discréditée) de vacciner toute la population française contre le virus H1N1. Il y aurait désormais onze vaccins à administrer à tous les enfants en âge d’aller à l’école.
Le problème, c’est que cette façon de faire n’est plus admise aujourd’hui pour tout ce qui touche à la santé, au corps et à l’intimité en général. Nous vivons dans une société plus libérale, qui promeut l’émancipation de l’individu et où les modes de vie sont plus disparates. La légitimité de l’Etat à imposer certaines choses est amoindrie dans une société plus ouverte.
Par ailleurs, l’information, quelles que soient sa qualité et sa véracité, est universellement accessible désormais. Les individus qui veulent mieux comprendre peuvent trouver l’information pour ce faire. Mais ceux qui veulent être confortés dans leurs préjugés et leurs idées fausses le peuvent aussi. Une circulation plus fluide de l’information signifie donc moins le triomphe de la vérité que le renforcement des opinions de chacun, qu’elles soient fondées ou pas. Enfin, le numérique rend visible ce que pensent et font les autres. Or, quand on n’est plus seul dans son coin, on gagne en assurance. Si le mouvement anti-vaccins prend de l’ampleur, contre l’idée que nous nous faisons du progrès et alors même que les vertus des vaccins ne sont pas remises en question par la science, c’est parce que les militants anti-vaccins sont désormais connectés les uns aux autres – et les pouvoirs publics ne peuvent réduire au silence une minorité ainsi mise en réseau.
Pour reprendre la main, il faut d’abord admettre les limites du principe d’obligation. Même les vaccins déjà obligatoires (le fameux DT-polio) ne sont pas administrés universellement. Il y a les rares parents qui les refusent par principe. Il y a les parents plus nombreux qui n’en ont jamais entendu parler ou négligent de remplir les formulaires de consentement soumis par les écoles. Enfin, il y a les innombrables adultes qui ont perdu leur carnet de santé, ce vestige du monde ancien, et ne se souviennent pas de la date de leur dernier rappel. Même pour les vaccins déjà obligatoires, il est donc probable que la proportion de la population vaccinée soit nettement inférieure à 100%. Heureusement, prendre au sommet la décision de mettre les écoliers en file indienne pour leur injecter à tous les onze vaccins obligatoires n’est plus la seule manière de faire. Dans « Sida 2.0 » (Fleuve Noir, 2012), Didier Lestrade, figure historique de la lutte contre le sida, et le Dr Gilles Pialoux racontent comment on est parvenu en trente ans à faire connaître et à maîtriser cette maladie longtemps dévastatrice. Evidemment, la clé du succès n’a pas été d’interdire les pratiques à risque et de rendre le préservatif obligatoire. On ne règle pas la vie intime par décret ! La clé a été d’adopter une approche pluridisciplinaire de la maladie et des malades et, surtout, de faire des patients eux-mêmes les décideurs de leur diagnostic et de leur traitement.
L’histoire de la lutte contre le sida précède la transition numérique. Mais ses leçons restent vraies et méritent d’être remises à jour. L’enjeu de santé publique, après tout, n’est pas tant de rendre les vaccins obligatoires que de faire en sorte que le recours à ces vaccins devienne universel. La vaccination est une fin, l’obligation n’est qu’un moyen. Et grâce à un carnet de santé numérique, bien des progrès seraient possibles : connaître le nombre de personnes à jour de leurs vaccins ; comprendre les raisons pour lesquelles certaines ne se vaccinent pas ; surtout, informer et assister les familles pour qu’elles puissent, en lien avec les professionnels de santé, prendre en main leur propre démarche de vaccination.
Contrer la défiance par une expérience radicalement améliorée (et donc plus numérique) du système de santé : voilà le changement que nous devrions attendre d’un pouvoir qui se présente lui-même comme révolutionnaire. Il ne s’agit plus simplement de faire bouger des curseurs (quelques vaccins obligatoires en plus ou en moins), mais de changer de paradigme. La ministre de la Santé saisira-t-elle la controverse sur les vaccins comme une occasion d’aller de l’avant ?
L’ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE N’EST PAS TANT DE RENDRE LES VACCINS OBLIGATOIRES QUE DE FAIRE EN SORTE QUE LE RECOURS À CES VACCINS DEVIENNE UNIVERSEL.