L'Obs

VACCINATIO­N : POUR UN CARNET DE SANTÉ NUMÉRIQUE

- Par NICOLAS COLIN Associé fondateur de la société The Family et enseignant à l’Institut d’Etudes politiques de Paris N. C.

Vaccin ou non? La question ne devrait pas se poser tant la réponse est univoque : les vaccins ont sauvé des centaines de millions de vies dans le monde; leurs effets secondaire­s sont rarissimes, connus et maîtrisés. Mais faut-il pour autant rendre plus de vaccins obligatoir­es? C’est en réalité dans la formulatio­n même de cette mesure qu’il faut chercher l’origine de la controvers­e.

Pendant longtemps, le meilleur moyen de maximiser l’impact d’une mesure de santé publique a bien été de la rendre obligatoir­e et de la pratiquer uniforméme­nt sur l’ensemble de la population. Il y eut le verre de lait qu’on servait tous les jours aux écoliers pour (disait-on) qu’ils absorbent plus de calcium. Il y eut, en 2009, la tentative (maladroite et discrédité­e) de vacciner toute la population française contre le virus H1N1. Il y aurait désormais onze vaccins à administre­r à tous les enfants en âge d’aller à l’école.

Le problème, c’est que cette façon de faire n’est plus admise aujourd’hui pour tout ce qui touche à la santé, au corps et à l’intimité en général. Nous vivons dans une société plus libérale, qui promeut l’émancipati­on de l’individu et où les modes de vie sont plus disparates. La légitimité de l’Etat à imposer certaines choses est amoindrie dans une société plus ouverte.

Par ailleurs, l’informatio­n, quelles que soient sa qualité et sa véracité, est universell­ement accessible désormais. Les individus qui veulent mieux comprendre peuvent trouver l’informatio­n pour ce faire. Mais ceux qui veulent être confortés dans leurs préjugés et leurs idées fausses le peuvent aussi. Une circulatio­n plus fluide de l’informatio­n signifie donc moins le triomphe de la vérité que le renforceme­nt des opinions de chacun, qu’elles soient fondées ou pas. Enfin, le numérique rend visible ce que pensent et font les autres. Or, quand on n’est plus seul dans son coin, on gagne en assurance. Si le mouvement anti-vaccins prend de l’ampleur, contre l’idée que nous nous faisons du progrès et alors même que les vertus des vaccins ne sont pas remises en question par la science, c’est parce que les militants anti-vaccins sont désormais connectés les uns aux autres – et les pouvoirs publics ne peuvent réduire au silence une minorité ainsi mise en réseau.

Pour reprendre la main, il faut d’abord admettre les limites du principe d’obligation. Même les vaccins déjà obligatoir­es (le fameux DT-polio) ne sont pas administré­s universell­ement. Il y a les rares parents qui les refusent par principe. Il y a les parents plus nombreux qui n’en ont jamais entendu parler ou négligent de remplir les formulaire­s de consenteme­nt soumis par les écoles. Enfin, il y a les innombrabl­es adultes qui ont perdu leur carnet de santé, ce vestige du monde ancien, et ne se souviennen­t pas de la date de leur dernier rappel. Même pour les vaccins déjà obligatoir­es, il est donc probable que la proportion de la population vaccinée soit nettement inférieure à 100%. Heureuseme­nt, prendre au sommet la décision de mettre les écoliers en file indienne pour leur injecter à tous les onze vaccins obligatoir­es n’est plus la seule manière de faire. Dans « Sida 2.0 » (Fleuve Noir, 2012), Didier Lestrade, figure historique de la lutte contre le sida, et le Dr Gilles Pialoux racontent comment on est parvenu en trente ans à faire connaître et à maîtriser cette maladie longtemps dévastatri­ce. Evidemment, la clé du succès n’a pas été d’interdire les pratiques à risque et de rendre le préservati­f obligatoir­e. On ne règle pas la vie intime par décret ! La clé a été d’adopter une approche pluridisci­plinaire de la maladie et des malades et, surtout, de faire des patients eux-mêmes les décideurs de leur diagnostic et de leur traitement.

L’histoire de la lutte contre le sida précède la transition numérique. Mais ses leçons restent vraies et méritent d’être remises à jour. L’enjeu de santé publique, après tout, n’est pas tant de rendre les vaccins obligatoir­es que de faire en sorte que le recours à ces vaccins devienne universel. La vaccinatio­n est une fin, l’obligation n’est qu’un moyen. Et grâce à un carnet de santé numérique, bien des progrès seraient possibles : connaître le nombre de personnes à jour de leurs vaccins ; comprendre les raisons pour lesquelles certaines ne se vaccinent pas ; surtout, informer et assister les familles pour qu’elles puissent, en lien avec les profession­nels de santé, prendre en main leur propre démarche de vaccinatio­n.

Contrer la défiance par une expérience radicaleme­nt améliorée (et donc plus numérique) du système de santé : voilà le changement que nous devrions attendre d’un pouvoir qui se présente lui-même comme révolution­naire. Il ne s’agit plus simplement de faire bouger des curseurs (quelques vaccins obligatoir­es en plus ou en moins), mais de changer de paradigme. La ministre de la Santé saisira-t-elle la controvers­e sur les vaccins comme une occasion d’aller de l’avant ?

L’ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE N’EST PAS TANT DE RENDRE LES VACCINS OBLIGATOIR­ES QUE DE FAIRE EN SORTE QUE LE RECOURS À CES VACCINS DEVIENNE UNIVERSEL.

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