L'Obs

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JOURS BARBARES, PAR WILLIAM FINNEGAN, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR FRANK REICHERT, ÉDITIONS DU SOUS-SOL, 528 P., 23,50 EUROS.

- DIDIER JACOB

Savez-vous qui, le premier, popularisa la pratique du surf ? Jack London. L’auteur de « Croc-Blanc » avait lui-même expériment­é ce sport sur le rivage de Waikiki. Les amateurs se souviennen­t de ses récits de glisse où London avait prophétiqu­ement vanté la beauté des corps masculins, hyperathlé­tiques et bronzés, s’enroulant dans des vagues hautes comme des immeubles. Un demi-siècle plus tard, c’est aussi à Hawaï, où son père s’est établi, que le journalist­e américain William Finnegan apprend à défier les lois de la gravité, debout sur un bout de bois grand comme une planche à repasser.

Dans « Jours barbares », un récit autobiogra­phique porté par une rare force d’expression, et où l’on sent que chaque jour, chaque vague vaut selon l’auteur d’être vécue, il raconte sa vie passée à rechercher le meilleur spot. L’Australie, donc, et ses requins menaçants, l’Indonésie, les îles Samoa, Madagascar et Madère, l’Afrique du Sud ou plus simplement Montauk, au large de New York, et ses hippies soixante-huitards qui mélangeaie­nt volontiers, pour le meilleur et pour le pire, la glisse et la dope. Si l’on comprend mieux, en lisant l’autobiogra­phie de Finnegan, comment est née la sous-culture américaine du surf dans les années 1960, c’est aussi parce que le style de l’auteur, empruntant au classicism­e d’un James Salter (adepte, lui, d’une autre sorte de glisse, à bord d’avions de chasse), tient du sport qu’il décrit : il s’enroule, se creuse, décrivant de parfaits arrondis avant d’exploser, sur les bords de la page, dans des morceaux de bravoure à la puissance inégalée. La raison en est que, pour Finnegan, le surf n’était pas seulement un passe-temps mais une philosophi­e de la vie, et plus encore, une bouée de sauvetage qui lui permit, dans sa jeunesse, de s’émanciper de sa famille et de conquérir sa liberté.

En somme, Finnegan, qui a obtenu pour ce livre le prestigieu­x prix Pulitzer, et qui continue de surfer à Long Island, a longtemps caché son jeu, comme il le raconte dans le livre : tandis qu’il jouait les reporters à Mogadiscio ou dans les Balkans, son esprit ne rêvait qu’à la solitude de l’homme sur sa planche, fragile insecte dressé face à l’océan tout-puissant. « Se trouver au milieu des vagues a un côté onirique, explique Finnegan. Terreur et extase rôdent toutes deux ensemble, menaçant de submerger le rêveur. » Le livre le plus célèbre de James Salter s’intitulait « Un sport et un passe-temps ». Celui-ci aurait pu s’appeler : « Une drogue et un art de vivre ».

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