Les chroniques d’Abdennour Bidar et Nicolas Colin
Pendant que nous, Français, étions focalisés sur l’élection présidentielle, d’autres ailleurs méditaient avec un peu plus de hauteur de vue sur le temps présent. En retrouvant aujourd’hui une oreille pour les écouter, on s’aperçoit vite que leurs réflexions relativisent considérablement les questions qui nous ont accaparés ces derniers mois. On réalise aussi à quel point les politiques qui nous sont proposées sont loin du compte, c’est-à-dire pas à la hauteur de ce qui se cherche aujourd’hui de plus profond dans notre civilisation humaine.
Un exemple de ces méditations de fond est celle que nous offre le « Manifeste de la responsabilité universelle » (1) rédigé récemment par Sofia Stril-Rever à la demande du dalaï-lama. Il exprime la conviction que les problèmes actuels de la planète – péril écologique, pauvreté, inégalités, radicalités, intolérances, etc. – ne pourront pas être combattus si l’on s’en tient à des mesures politiques. Toutes les lois du monde n’y changeront rien à elles seules. Leur efficacité dépendra d’un autre facteur, non plus extérieur mais intérieur, non plus politique mais éthique : le progrès des consciences, que seule une éducation idoine pourra assurer à l’avenir. Comme le souligne la présentation du « Manifeste », « l’attitude éthique que j’adopte n’est pas une solution directe aux immenses problèmes du monde. Mais elle représente une dynamique positive qui s’appuie sur la force d’une vision partagée et la volonté d’oeuvrer en synergie avec tous ceux qui se mobilisent au nom de l’humanité ».
Quels sont donc ces « engagements de vie » qui convoquent la conscience et l’action de chacun d’entre nous, notre participation active à la transformation du monde ? Je retiens en particulier le premier, celui de « la paix intérieure » qui me propose de prendre, au quotidien et au long cours de ma vie, la ferme résolution suivante : « Je m’engage à faire grandir la paix en moi et à la faire rayonner. » Une chose ici nous interpelle très fortement : l’idée que paix intérieure et extérieure sont liées. Les hommes ne peuvent faire et maintenir la paix entre eux que s’ils cultivent en eux-mêmes l’esprit de paix, de tolérance, de compassion ou d’amour. Les bouddhistes s’y exercent par des méditations conçues comme des life skills (exercices de vie) : en concentrant leur esprit un peu chaque jour, ils s’entraînent à éprouver des sentiments plus positifs et plus puissants envers autrui, au-delà de leurs proches, en direction de l’ensemble de leurs relations puis vers tout le vivant... Quoi de plus dépaysant pour nous ? Nous ne sommes pas éduqués à cela, et l’incrédulité que l’on peut éprouver vis-à-vis de ces pratiques vient sans doute de leur coefficient d’étrangeté. Sans mythifier la méditation et sans négliger de s’entraîner aussi à la paix par des actes de fraternité, je pense qu’il y a là pour nous des pistes à explorer. Comment ne pas déplorer en effet la médiocrité de notre culture actuelle en matière d’intériorité ? Que faisons-nous au jour le jour pour élever et éveiller nos âmes ? Nos sociétés ne sont pas pensées pour être des écosystèmes de « mise en culture » de notre âme ou conscience morale. Nous souffrons d’une déliaison radicale du politique et de l’éthique, et ce bien au-delà de la question de la « moralisation de la vie publique ». C’est en réalité tout l’ensemble de notre vie commune – le champ du politique au sens large de la Cité (polis) – qui demanderait à être connecté à notre vie intérieure, à partir de la conscience que le progrès de l’un et de l’autre sont inséparablement liés, parce qu’il n’y a pas de Cité juste sans âmes justes.
(1) Publié dans « Nouvelle Réalité : l’âge de la responsabilité universelle », paru aux éditions Les Arènes, 2016.
LES HOMMES NE PEUVENT FAIRE ET MAINTENIR LA PAIX ENTRE EUX QUE S’ILS CULTIVENT EN EUX-MÊMES L’ESPRIT DE PAIX, DE TOLÉRANCE, DE COMPASSION OU D’AMOUR.