L'Obs

La mode pour tous par Sophie Fontanel

Coup de théâtre dans le monde hype parisien. Le concept store de la rue Saint-Honoré, qui fêtait récemment ses 20 ans, annonçait la semaine dernière sa fermeture. Avec toute l’humilité des gens bien

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Colette, le magasin si fameux du 213, rue SaintHonor­é à Paris, ferme ses portes fin décembre. Peu de choses s’arrêtent ainsi, en pleine gloire, sauf fauchées par la mort ou par la bêtise. Or, ni le désespoir de la mort ni le gâchis de la bêtise ne sont la raison de cette fin. Colette ne met pas non plus la clé sous la porte. Colette est une entreprise florissant­e, mais, et c’est là que commence la poésie, son propos n’a jamais été l’enrichisse­ment. Elle a prospéré en faisant vivre ses fondateurs et ses employés, mais tout est resté à taille humaine, même l’argent. Et c’est parce que, aujourd’hui, un élément humain (sa fondatrice, Colette Roussaux) a envie de souffler un peu que la boutique ferme.

Ce n’est pas revendu, par exemple. Tout le monde disait que cette « affaire familiale », si elle passait aux mains d’un homme d’affaires, ça serait à prix d’or. Mais Colette, la fondatrice, n’a pas voulu ça. Elle sait trop ce dont de nouveaux acquéreurs peuvent être capables, derrière les sourires de façade. On l’a vu récemment chez Lanvin ou avec de nombreuses marques qu’il est tentant mais trop long de citer ici. On l’a vu (et on le voit) parfois pour des journaux : l’acquéreur achète une âme pour s’en débarrasse­r aussitôt, et ne garder que les murs. Et, bientôt, tout perdre.

La boutique Colette, c’est une grande âme, justement. Colette elle-même, celle en chair et en os, comme on l’a si souvent raconté, vivait dans sa boutique jusque tard le soir et les dimanches, où on la voyait travailler avec quelques employés. Sa fille, Sarah, tout en prenant de plus en plus d’importance, tout en s’épanouissa­nt, a toujours conservé la même discrétion que sa mère.

Quand je l’ai appelée après l’annonce de la fermeture (faite sur le compte Instagram de Colette), elle était stupéfaite de voir soudain le concept store au centre de l’attention : « Je pensais que ça allait passer inaperçu », disait-elle, sans la moindre fausse modestie. Ça la troublait profondéme­nt de se sentir autant aimée, appréciée, nécessaire. Elle me répétait ce qu’elle répétait depuis trois heures à tous ses amis, à savoir que sa mère se trouvait trop âgée pour cette vie vouée à un magasin aussi important. J’ai objecté que sa mère n’était pas si vieille, Sarah s’est exclamée : « C’est ce que je n’arrête pas de lui dire ! » Mais bon, que Colette la fondatrice nous prouve qu’il y a un temps pour tout, c’est finalement l’ultime leçon d’humanité de cette entreprise qui a toujours fonctionné avec les sentiments.

Ce sont ces sentiments qui vont prendre à la gorge les amoureux de Colette, ceux qui savent qu’on avait là, dans ces murs, une sorte d’organisme vivant. Il y avait une odeur quand on passait devant. C’était comme un giron. Il y avait du monde devant, comme sur la place d’un village. Il y avait du monde en face, au café du coin, où le soir les vendeurs prenaient un verre. Il y avait de la joie, aussi bête que cela puisse paraître. Voilà, je parle à l’imparfait. N’y voyez aucune nostalgie. Car que cette fin est belle ! Et comme elle est actuelle, bon sang ! Il y a quelque chose de radieux et de confiant dans cette modernité pas usée du tout qu’on abandonne, comme si on savait qu’autre chose d’encore plus moderne allait venir. Notre époque, dans ce qu’elle a de plus noble, est là dans ce reset, qu’on peut s’autoriser à tout âge. Colette, la belle Colette aux cheveux courts, se sent peut-être âgée mais c’est la vie qui l’attend. La vie ouverte, même le week-end. Je verse ma larme. Oui, on peut aimer des murs.

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