L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- MATTHIEU CROISSANDE­AU M.C.

Comme une lettre à la poste, ou presque… Le projet de loi d’habilitati­on qui doit permettre au gouverneme­nt d’Edouard Philippe de réformer par ordonnance­s le Code du Travail a été adopté la semaine dernière à l’Assemblée. On ne retiendra pas grand-chose des débats qui animèrent cette partie jouée d’avance. Au-delà de l’opposition de postures et de quelques modificati­ons à la marge pour séduire davantage encore le patronat « et en même temps » amadouer les syndicats, la réforme promise par Emmanuel Macron pendant sa campagne obéit pour le moment au calendrier qu’il s’était fixé.

De tribunes en slogans, on a entendu ici et là de nombreuses critiques sur le fait que ce projet de loi se bornerait à coucher, noir sur blanc, de vieilles lunes libérales, que cette flexibilis­ation accrue des conditions d’embauche et de licencieme­nt n’aurait aucun effet concret et immédiat sur la courbe du chômage, ou enfin que le texte n’aurait in fine d’autre vertu que de prouver à nos partenaire­s européens que la France est enfin capable, elle aussi, de se réformer.

Tout n’est pas faux dans ce réquisitoi­re. Le paradoxe de cette réforme, qui manie de nombreux symboles (la représenta­tion syndicale, la nature des contrats, les indemnités de licencieme­nts…), est que son effet sera sans doute davantage psychologi­que qu’économique. C’est en tout cas le pari optimiste que fait le président de la République. En touchant à ce qui était réputé intouchabl­e, en débloquant ce qui paraissait bloqué, le pouvoir mise sur un effet de nouveau souffle sociétal à la rentrée.

La vérité est que la loi Pénicaud ne suffira pas. C’est là sa limite. Non qu’il faille forcément aller plus loin dans l’assoupliss­ement des règles sociales. Mais elle doit impérative­ment s’accompagne­r d’autres réformes, sans quoi elle se résumera au mieux à un effet d’annonce, au pire à un marché de dupes. La première est une réforme complète de notre assurance chômage. Si le salarié doit être plus mobile, plus flexible, il revient à la collectivi­té de lui assurer une couverture digne de ce nom lorsqu’il est amené à bouger. Le gouverneme­nt a promis de s’y atteler à l’automne, mais reste très imprécis sur ce chantier. La deuxième doit évidemment se pencher sur la formation profession­nelle. Maintes fois promise mais jamais réalisée, cette réforme met en jeu des sommes colossales adossées à des intérêts particulie­rs, ceux des partenaire­s sociaux et des organismes qui n’ont aucun avantage à voir les choses changer. La troisième est la lutte contre les discrimina­tions à l’embauche. Car il ne servira à rien d’assouplir le marché du travail si une part trop importante de notre population active, jugée trop jeune, trop vieille, trop mère de famille ou trop basanée, souffre toujours d’en être écartée. La dernière est de redonner sa place au dialogue social. Emmanuel Macron, on le sait, s’est persuadé que les syndicats n’étaient pas les mieux placés pour défendre l’intérêt général. Il veut croire que leur relégitima­tion passera moins par de grandes négociatio­ns collective­s que par un dialogue soutenu dans les entreprise­s. Ce dernier pari compte des angles morts : la place et le rôle que les employeurs leur reconnaîtr­ont sur le terrain, comme la nature précise des enjeux qu’ils pourront discuter. On ne passe pas du jour au lendemain d’une culture conflictue­lle, basée sur le rapport de force, aux conditions d’un dialogue serein. L’égalité des chances de tous les salariés ne passera que par un choc de confiance partagée et non par ordonnance ou par décret.

“EN TOUCHANT À CE QUI ÉTAIT RÉPUTÉ INTOUCHABL­E, EN DÉBLOQUANT CE QUI PARAISSAIT BLOQUÉ, LE POUVOIR MISE SUR UN EFFET DE NOUVEAU SOUFFLE SOCIÉTAL À LA RENTRÉE.”

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