L'Obs

Front national Haro sur Philippot

A quoi joue le vice-président du Front national? Cible de toutes les attaques depuis la présidenti­elle, il a créé son propre club, Les Patriotes, au risque de s’attirer les foudres de Marine Le Pen…

- Par MARIE GUICHOUX

Dès le lendemain de la présidenti­elle, Florian Philippot savait qu’il porterait le chapeau. Pour le score décevant de Marine Le Pen. Pour le naufrage de cette dernière lors du débat face à Emmanuel Macron. Mais en fait de couvre-chef, le voilà coi é d’un large sombrero et pris pour cible par tous les pistoleros frontistes qui veulent lui faire la peau. Les rancoeurs mijotées débordent, les traits assassins se propagent sur le Net et les coups de billard à trois bandes visent in fine le numéro deux du FN, promoteur de la sortie de l’euro, cet « épouvantai­l à électeurs ». Haro sur l’homme qui murmurait à l’oreille de la présidente du FN !

« Il n’a pas bien assumé l’échec de la présidenti­elle, n’a pas été un soutien pour Marine, et pendant les législativ­es, il n’a pas fait preuve de bonne camaraderi­e », grince un cadre du premier cercle. Candidat en Moselle, le bras droit de Marine Le Pen a à peine fait campagne, fuyant les journalist­es. Et s’il s’est rendu dans l’Aisne, c’était pour soutenir son frère, Damien, entouré des autres candidats du départemen­t. « C’était stupéfiant, poursuit ce cadre frontiste, il n’est allé soutenir personne sur le terrain, sauf en Saône-etLoire. » Dans ce départemen­t se présentait, sous les couleurs du FN, l’ex-directeur adjoint de cabinet de Nicolas DupontAign­an, Maxime Thiébaut, devenu l’un de ses proches après avoir rejoint les rangs des Patriotes, l’associatio­n que Florian Philippot a lancée sitôt le second tour de la présidenti­elle passé. Un club, son bébé, destiné à réunir des personnali­tés proches de la ligne souveraini­ste qu’il prône, comme son amie la députée européenne Sophie Montel ou le comédien Franck de Lapersonne. Vu comme un coup de force par ses ennemis de la droite identitair­e, un a ront fait à Marine.

Florian Philippot n’a, en e et, prévenu la présidente du FN de ses intentions qu’à la dernière minute, par SMS. Il s’en défend en expliquant que c’était le seul moyen de reprendre l’initiative après la défaite, qu’il ne fallait pas s’enliser dans les tergiversa­tions. Furieuse, Marine Le Pen a estimé que « Les Patriotes », c’était « ringard ». Mais une fois encore, en bureau politique, elle lui a sauvé la mise, en déclarant que cette initiative était « une erreur » et en fermant aussitôt le ban. « Lui, il a piqué du nez sans rien dire », raconte un membre du bureau.

Si la ligne politique de celui qui est encore numéro deux du FN est au coeur des griefs qui lui sont faits, sa personnali­té lui vaut depuis longtemps de solides inimitiés. « Il ne dit jamais bonjour à personne », entend-on. Très sûr de lui, il est convaincu de la médiocrité des autres. Ce « sourire de Joconde » (l’expression est de son lieutenant, Jo rey Bollée) qu’il a che en toutes circonstan­ces est perçu comme de l’arrogance. Il est timide, secret, plaident ses amis. Ce clan, composé de jeunes gens diplômés avec lesquels il festoie et qui lui doivent une promotion express au sein du parti (un siège décroché aux départemen­tales ou aux régionales, et parfois, en prime, la direction d’une fédération), est une bande à part. « Comme Florian qui confond politique et télé-réalité, ces jeunes ne pensent que réseaux sociaux et communicat­ion, ils n’ont pas tous fait leurs preuves pendant les législativ­es », estime le député Sébastien Chenu, qui précise qu’au moins trois d’entre eux ont depuis pris leurs distances avec leur mentor, conscients de l’impasse à laquelle conduit son raidisseme­nt souveraini­ste. « Florian est très seul. »

Battu, Philippot n’a pas fait son entrée au Palais-Bourbon, où Marine Le Pen, elle, organise sa nouvelle vie. Elle a fait de Damien Philippot, ancien directeur d’études à l’Ifop qu’il a quitté pour

rejoindre l’équipe rapprochée de campagne, son attaché parlementa­ire. Ce dernier, prudent, n’a pas adhéré aux Patriotes. Il est plus serein, et on le dit aussi plus amène que son cadet qui semble courir après une reconnaiss­ance sociale et affective, sur les plateaux de télévision et dans la relation exclusive avec Marine Le Pen. La présidente du FN et son numéro deux n’ont-ils pas moult fois raconté leur première rencontre, ce « coup de foudre intellectu­el » qui a scellé leur alliance depuis 2009? Cette union paraît aujourd’hui ébréchée.

C’est Sophie Montel, la numéro deux du numéro deux, qui en a fait les frais. A 47 ans, cette députée européenne est la porte-flingue de Philippot, partageant en tout point ses idées. Récemment, elle a jugé le discours du FN sur l’immigratio­n « anxiogène », envoyant une pierre dans le jardin des frontistes identitair­es. « J’ai trente ans de terrain et je sais pourquoi le FN fait encore peur. Les gens ont souvent dans leur famille un beau-frère ou une cousine d’origine immigrée, nous explique l’élue de Bourgogne-Franche-Comté, alors on ne peut pas continuer à considérer la société en 2017 comme si on était encore dans les années 1990. » Cette première sortie avait irrité.

Mais c’est son soutien apporté à deux jeunes élus FN de sa région, suspendus « pour avoir osé dire que Nicolas Bay, le secrétaire général du FN, n’avait pas bien organisé les législativ­es », qui lui a valu sa disgrâce. Sur instructio­n de Marine Le Pen, Sophie Montel a perdu, voilà deux semaines, la présidence du groupe FN au conseil régional de BourgogneF­ranche-Comté. Un avertissem­ent à Philippot ou le début d’une purge ? « Je pense que Marine Le Pen a été mal informée », feint de croire l’élue, qui pense subir les foudres de Nicolas Bay et du courant de la droite nationale du FN, passé à l’offensive. « Depuis le départ surprise de Marion [Maréchal-Le Pen, NDLR], les chiens sont lâchés et ils mordent. Ils sortent du bois et s’en prennent à Florian. Alors qu’il est, comme moi, le premier des marinistes. L’atmosphère est malsaine… » Ils en seront pour leurs frais, estime Sophie Montel : « Florian est très solide, ce n’est pas quelqu’un qu’on déstabilis­e facilement. »

Dans cette guerre où se jouent les rapports de force en vue du congrès de 2018, le numéro deux du FN se concentre sur sa petite entreprise, Les Patriotes. « Ça ne pèse rien, son club! » raille un mariniste. Philippot s’emploie à lui donner belle tournure, avec, cet été, une randonnée des Patriotes et, début septembre, la rentrée politique de son associatio­n. Dans « Valeurs actuelles », il a annoncé – coup de bluff ou constituti­on d’un vrai courant? – pléthore d’initiative­s : groupes de travail, consultati­ons sur internet et dîners « patriotes ». Tout en réaffirman­t sa volonté de prendre une part active à la refondatio­n voulue par Marine Le Pen, qui organise, ce weekend, un premier séminaire. « Notre petit groupe de huit députés, c’est ce qui la rend joyeuse, raconte l’un d’eux, elle ne supporte plus de remettre les pieds à Nanterre. » La géographie, elle, a déjà acté les fractures du FN avec sa présidente au Palais-Bourbon, sa direction à Nanterre et son numéro deux sur son Aventin.

droite avec Copé s’était fourvoyée dans l’histoire du porc à la cantine, alors que la question clivante était l’euro. Arrivent les élections locales où ce n’est pas la même problémati­que, le même enjeu, le même mode de scrutin, les mêmes clientèles qu’on mobilise… Or Florian Philippot gouverne avec les sondages. Lui comme son frère, Damien, ne comprennen­t pas que la politique marche de pair avec des systèmes électoraux. Il est inutile d’avoir des thèmes majoritair­es si on est mal positionné. Les résultats des départemen­tales et régionales seront décevants pour le FN. Au lieu d’en tirer les leçons, Philippot va se braquer, se bunkériser avec les siens, et tenter de réduire le FN à un parti souveraini­ste. Tous ceux qui jusque-là trouvaient le personnage odieux mais s’accommodai­ent de sa ligne étatiste ni droite ni gauche entrent en opposition.

Est-il possible qu’on assiste, dans les mois à venir, à une scission des philippoti­stes?

Le souveraini­sme en France n’a jamais fait guère plus de 5% à la présidenti­elle. Nous sommes certes dans une période de décomposit­ion-recomposit­ion, mais il n’y a pas de place électorale­ment pour déclencher un tel choix de la part de Philippot. A moins d’y être contraint et de maquiller une sortie forcée en scission. A propos de Montel et Philippot, Louis Aliot a dit : « On doit tout au mouvement. Le mouvement ne nous doit rien. » C’est une référence à une formule de Jacques Doriot, reprise par Jean-Marie Le Pen lors d’une purge faite pour faire place à sa fille…

Marine Le Pen dit vouloir refonder en profondeur le Front national. Comment est-ce faisable alors qu’elle proscrit tout débat public?

Marine Le Pen n’arrive pas à se poser en arbitre. Les différente­s chapelles dans les années 19801990 reconnaiss­aient JeanMarie Le Pen comme le point d’équilibre et l’arbitre final. La situation a changé après la scission mégrétiste, on est passé à ce moment-là à la soumission à la famille Le Pen comme règle. Marine Le Pen a encore accentué cela. Elle est la référence et si on ne lui est pas soumis, on est contre elle et cela va mal se passer. L’idée visait à constituer une écurie présidenti­elle. Mais quand vous transforme­z votre PME en grande entreprise, vous l’envoyez dans le décor si vous gardez la même gestion. Elle a amené le FN à son plus haut niveau et, alors qu’elle ne pouvait pas s’en tenir à un management personnali­sé, elle n’a pas évolué.

Vous ne semblez pas croire à cette refondatio­n…

Pour refonder sérieuseme­nt, il faut regarder les choses en face. Y a-t-il, aujourd’hui au FN, des cadres qui sont prêts à regarder les réalités en face? Dans les années 19601970, l’extrême droite s’est rénovée parce que des cadres y ont introduit la culture de l’autocritiq­ue : François Duprat, qui deviendra numéro deux, et Dominique Venner, auteur de « Pour une critique positive » (paru en 1962) où il explique que, non, l’armée ne fera pas un putsch, et que ce n’est pas comme ça que l’extrême droite prendra le pouvoir. Dans le FN de Marine Le Pen, il n’y a pas un problème, pas une dissonance, tout y est absolument magnifique, c’est le pays de Oui-Oui du Front national triomphant dans sa petite voiture jaune. Les newsletter­s envoyées aux adhérents le montrent. Avant la présidenti­elle, celles-ci prédisaien­t la victoire de leur candidate. Avant les législativ­es, elles promettaie­nt un raz de marée de députés… Quand, au lieu de 150 députés, vous en avez huit et que vous persistez à dire que tout va bien, l’adhérent n’est pas dupe. Il constate que le récit qui atterrit dans sa boîte mail ne ressemble en rien aux affronteme­nts auxquels se livrent les cadres frontistes sur Twitter ou Facebook. Le Front national a fini par croire ce qu’il racontait, par se duper lui-même.

Qu’en est-il de la profession­nalisation mise en avant?

C’est un éternel gag. Il faut savoir, par exemple, que les fiches de formation des années 1990 sont toujours celles dont se sert le parti… Ces fiches ont été élaborées par Franck Timmermans, le secrétaire général adjoint de l’époque, qui lui-même avait été formé par deux militants des années 1970, Victor Barthélemy, ancien du Komintern passé bras droit de Jacques Doriot, un fasciste avec une formation léniniste, et de l’autre côté François Duprat. Les nouvelles recrues qu’on nous dit si pros n’ont pas apporté un matériel plus performant.

Quel avenir voyez-vous à Marine Le Pen?

Politiquem­ent, elle n’est pas exfiltrabl­e avant 2022, mais un troisième échec à la présidenti­elle lui serait fatal. Très habilement, Marion Maréchal-Le Pen s’est mise en réserve, s’évitant le chaos actuel et les règlements de comptes.

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Depuis l’échec de Marine Le Pen à la présidenti­elle, le numéro deux du parti se voit reprocher son caractère, sa ligne et ses méthodes.
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 ??  ?? La candidate du FN en visite à la Foire du Trône avec Florian Philippot, en avril dernier.
La candidate du FN en visite à la Foire du Trône avec Florian Philippot, en avril dernier.

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