L'Obs

FRÈRES MASCULINS

- par ÉRIC AESCHIMANN

J e me souviens d’une blague de jadis : « C’est quoi le féminin de “assis devant la télé” ? “Debout à la cuisine”. » Mort de rire… O frères masculins vautrés au salon, j’ai honte de mon genre.

Avant, une femme passait directemen­t de l’autorité du père à la domination du mari. Elle restait mineure à vie. Aujourd’hui, c’est l’homme qui, après avoir été couvé par sa mère, se laisse docilement prendre en charge par sa compagne. L’autre jour, un ami m’a dit, ravi, au moment de la déclaratio­n d’impôt : « C’est ma femme qui s’en occupe. Elle fait tous les papiers. » J’en ai rougi pour lui. Dans « l’Obs », Jean-Claude Kaufmann explique que les hommes ne veulent pas « se prendre la tête »… Vraiment, ils disent cela ? Avec ce langage d’ado attardé ?

Le problème n’est pas d’être un ado attardé. Le problème est de ne pas voir que cette passivité est le nouveau masque de la vieille domination masculine. Laquelle, comme toute domination, opprime celles qui la subissent – les femmes – et abîme aussi ceux qui l’exercent – les hommes. Hegel l’a établi dans sa fameuse dialectiqu­e : le maître, parce qu’il se fait servir, est condamné à terme à la dépendance, tandis que l’esclave, en travaillan­t le réel, en façonnant des objets, construit les moyens d’une véritable liberté. Pour le dire autrement : par ma passivité, j’abdique mon autonomie, je renonce à ma dignité. C’est d’autant plus grave qu’aujourd’hui, tout le système nous encourage à être les rois du canapé, rivés à nos écrans, prêts à tout gober. De même, la transforma­tion de la famille en PME où tout est calculé participe d’une évolution globale qu’il faut combattre, et non fuir comme on chasse un souci.

Voilà pourquoi l’heure est venue de se lever du canapé et d’affronter les pesanteurs du quotidien. Ainsi, non seulement nous cesserons d’être mufles, mais nous reprendron­s possession de nos vies. Ce n’est pas par hasard si, dans les mouvements alternatif­s type Nuit debout ou ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la question « Qui fait à manger, qui fait la vaisselle ? » est devenue centrale. On ne changera pas le monde « assis devant la télé », mais debout, à décider ensemble ce qu’on va faire à dîner.

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