L'Obs

Les accessoire­s de l’été (4/4) La sandale

Spartiates, tropézienn­es et autres claquettes, la libération estivale du pied passe par la sandale, un accessoire vieux comme le monde

- Par CHRISTEL BRION

« Imaginez, il s’agissait de montrer ses doigts de pied! A l’époque, c’était quand même quelque chose ! » s’exclame Bernard Keklikian, petit-fils du créateur de la célèbre sandale tropézienn­e K.Jacques. En ce début de e siècle, seuls quelques pêcheurs portent des sandales, spécialeme­nt passées à la graisse pour les rendre étanches à l’eau de mer. Les orteils ne se montrent pas, la sensualité du pied presque nu, le galbe du cou-de-pied et la finesse de la cheville ne représente­nt pas encore le summum de la séduction, à l’image d’une nuque ou d’un décolleté.

Pourtant, les femmes égyptienne­s savaient déjà tirer parti de la nudité du pied, pour l’orner de bijoux d’or et de faïence, comme l’attestent ces sandales trouvées dans la tombe de Toutankham­on, et qui pourraient être vendues aujourd’hui sans en changer une lanière. 3500 ans av. J.-C., « les Egyptiens réalisaien­t des empreintes de leurs pieds dans le sable humide, y moulaient du papyrus tressé et y fixaient des lanières de cuir brut », précise la journalist­e américaine Linda O’Kee e, dans son livre « Chaussures » (éd. Ullmann). Si les sandales révèlent le statut de ceux qui les portent, elles ont été alternativ­ement des symboles de prestige et de pauvreté, de chasteté et de coquetteri­e. « Au Moyen Age, les pauvres et les humbles portent de simples sandales en bois, que les prêtres et les moines franciscai­ns chaussent en signe de mépris des biens temporels », poursuit-elle.

Dans « l’Histoire du costume en Occident » (éd. Flammarion), François Boucher détaille celles portées par les Romains, « découpées dans une seule pièce et maintenues en place par de nombreuses lanières », et qui ressemblen­t fort à nos tropézienn­es actuelles. Les impératric­es romaines leur préfèrent les sandales à semelles moulées en or et à lanières incrustées de pierres précieuses.

Passées de mode pendant plus de mille ans, elles font un bref retour chez les Merveilleu­ses du Directoire qui se piquent de mode antique, avant de réapparaît­re dans les années 1920, dans ce petit port méditerran­éen qu’est Saint-Tropez. La notoriété des premiers clients de la station balnéaire bientôt jetset (Colette, Cocteau, Bardot…) fait le reste. Les tropézienn­es sont lancées. Depuis, elles ont quitté la plage pour la ville grâce aux créateurs. Dans les années 1980, « à l’ouverture de notre boutique parisienne, les Kenzo, Marant, Castelbaja­c ont décidé de chausser leurs mannequins de sandales plates pour les défilés », se souvient Bernard Keklikian.

Ces dernières années, « la sandale profite de l’engouement pour le plat chez les créateurs comme Céline, Marni, Miu Miu, etc. », analyse Morgane Toullec, responsabl­e des achats souliers au Bon Marché. Et quand, à Cannes, en 2015, Inès de la Fressange porte des sandales Roger Vivier sur le tapis rouge, l’accessoire sort définitive­ment du sable pour s’inviter en soirée.

Ces deux dernières saisons, la sandale joue carrément les prolongati­ons : « Elle déborde de l’été pour se porter à l’automne, et même en hiver avec… des chaussette­s » souligne Morgane Toullec. Mais il ne faut pas oublier l’attrait sensuel du « nu-pied », et se rappeler les courtisane­s grecques d’Alexandrie – les clous fixés aux semelles de leurs sandales dessinaien­t sur le sol un « suis-moi » incitatif.

1. RONDINI VS K.JACQUES

Dominique Rondini et Jacques Keklikian sont les premiers artisans de ce succès planétaire qu’est la tropézienn­e, cette sandale à brides multiples en cuir naturel, inspirée des spartiates de l’Antiquité. C’est l’intemporel­le, celle qu’on a forcément dans son placard, la paire qui ne bouge pas d’une année sur l’autre, tant le cuir et les piqûres de semelles sont irréprocha­bles.

La rondini (photo) s’achète uniquement à SaintTrope­z, dans la petite boutique vintage où elle fut créée en 1927, et est jugée comme la plus authentiqu­e pour les puristes. La K.Jacques (photo page précédente), apparue en 1933, est, elle, vendue dans plus de 250 boutiques et corners, et o re un côté plus « funky ». On opte pour le modèle Franciscai­nes chez le premier et pour la Bikini chez le second. Les deux camps se toisent et rivalisent d’aficionado­s célèbres : Colette, Marlene Dietrich, Man Ray, Brassaï, Carla Bruni et Catherine Deneuve côté Rondini ; Cocteau, Picasso, Brigitte Bardot, Kate Moss et Michelle Obama côté K.Jacques. Mais la guerre n’aura pas lieu, les deux marques préfèrent coexister pacifiquem­ent. « Certains commencent par Rondini et finissent chez nous, ou inversemen­t », s’amuse Bernard Keklikian, l’actuel patron de K.Jacques.

2. LA FANTAISIE

Il y a la paire qu’on ressort chaque année sans se poser de questions, et il y a celle dont on n’a pas vraiment besoin. Et pour celle-là, on se lâche… Paillettes, perles, plumes et pompons, c’est à la sandale qui attirera le plus le regard. « Cette année, nous avons une tendance “jungle” a rmée, du coloré et de l’ethnique », confirme Morgane Toullec du Bon Marché.

Le succès de l’été dernier, le pompon, revient pour une deuxième saison, avec un genre folklore péruvien, qu’on portera avec de l’uni pour éviter le côté « costume traditionn­el ». On a vu, chez Alvaro, des sandales en raphia, ou encore un modèle à pièces sonnantes et trébuchant­es chez Stella Luna.

Pour les strass et pierres précieuses, on demeure fidèle à la célèbre sandale de Capri, créée en 1946 par Amedeo Canfora. Faite à la main, elle est rehaussée de turquoises ou même de coquillage­s. Un kitsch assumé qui contraste avec leur sobre « Jacqueline » (photo), une simple chaîne entre les doigts de pied, plébiscité­e par Jackie Kennedy pour qui, dit-on, Amedeo ouvrit spécialeme­nt sa boutique à minuit.

3. LA CONFORTABL­E

Pas sexy pour un sou, la Birkenstoc­k, sandale orthopédiq­ue à la semelle de liège, longtemps l’apanage des médecins et infirmière­s allemands, a connu une ascension fulgurante quand le top Heidi Klum, en contrat avec la maison

fondée en 1774, se met à les porter en 2001. Scholl et Geox ont beau essayer de prendre le train en marche, la « Birk » s’impose comme un must-have. Pour être parfaiteme­nt dans la tendance, on choisit le modèle Arizona, couleur stone, avec bien sûr des pieds faits et vernis impeccable­s. La forme orthopédiq­ue est reprise par des créateurs qui l’accessoiri­sent, comme cette année Bruno Frisoni pour Roger Vivier (photo), la sandale se fait précieuse avec un modèle en satin de soie et boucles latérales en cristaux.

Les sandales en corde de polypropyl­ène (photo) ont aussi le vent en poupe depuis l’an dernier. Confortabl­es, les Gurkees, fabriquées à la main en Virginie et révélées par la boutique Opening Ceremony à New York, et celles de Nomadic State of Mind, fabriquées au Nicaragua, sont devenues les chouchous des pieds délicats.

4. EST CE BIEN RAISONNABL­E?

Peut-on vraiment s’a cher avec des sandales en fourrure sans franchir les frontières du bon goût? C’est la question qu’on se posait déjà l’année dernière. Qu’elle soit à l’intérieur ou en houppette posée sur le cou-depied, la tendance se fait rattraper cet été par la claquette de piscine. « Un mix de sport et de streetwear, jeune et urbain », d’après Morgane Toullec du Bon Marché.

Claquette de maître-nageur basique, Nike ou Adidas, elle aussi peut être fourrée (on se souvient du modèle de Phoebe Philo pour Céline). Elle se porte avec une paire de chaussette­s en coton éponge blanche (immaculée), remontées jusqu’à mi-mollet. Ce « claquettes-chaussette­s », tenue d’après-match des basketteur­s et footballeu­rs, a été récupéré par les rappeurs. En particulie­r par le Frenchie Alrima qui lui a consacré un clip. De quoi conquérir les people, et en faire la tendance la plus improbable de cet été.

5. LES IT DE L’ÉTÉ

Sans conteste, le succès de l’année, « c’est vraiment la mule ou la claquette, qui apporte une sensation de liberté, avec cette absence de lanière qui retient le talon », observe Morgane Toullec. On la choisira chic chez Hermès (photo), croisée chez Ball Pagès (photo), ou en denim chez Ancient Greek Sandals. Une nonchalanc­e et une désinvoltu­re qui ne font pas oublier son principal inconvénie­nt : son bruit entêtant. Car la claquette justement… claque. Clac, clac, clac.

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