L'Obs

Passé/présent Les orgies du Vatican

Un récent fait divers a mis en lumière une tradition pontifical­e plutôt embarrassa­nte...

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Dans les moments difficiles, il faut savoir trouver l’apaisement dans le long fleuve de l’Histoire. Considéron­s ce fait divers en provenance de Rome qui est venu pimenter ce début d’été 2017 : appelée par des voisins exaspérés à cause d’un incessant tapage, la police italienne a fait irruption fin juin dans un immeuble situé au Vatican, pour y découvrir ce qui a été décrit comme une « orgie gay ». Avec ecclésiast­iques, go-go boys, et cocaïne à volonté. Il se trouve en outre que la résidence en question appartient à la pieuse Congrégati­on pour la Doctrine de la Foi et que l’organisate­ur de la « petite sauterie » était le secrétaire particulie­r d’un des cardinaux les plus importants de la curie, et qu’il était en passe de devenir évêque. Le prélat, qui va sans doute devoir attendre un peu avant d’obtenir sa promotion, a été trouvé dans un état qui a justifié son placement d’urgence en cure de désintoxic­ation. On a sinon peu de détails sur l’affaire – ce que l’on regrette. Mais on se doute qu’elle donne bien du souci au pape et à quelques catholique­s affligés.

Comment ne pas les enjoindre à ne pas trop s’en faire ? D’abord, contrairem­ent à ce que la presse s’est empressée de répéter en boucle, cette affaire n’est en rien un « nouveau scandale sexuel » qui s’abat sur l’Eglise. Les derniers dont on a parlé, rappelons-le, étaient d’atroces histoires de pédophilie. Le fait divers de juin concerne des adultes qui savaient sans doute ce qu’ils faisaient. L’Histoire peut aussi être d’un grand secours pour relativise­r les écarts qui viennent d’être découverts. En termes de « désordres contre nature », comme on disait naguère, le trône de Saint-Pierre en a vu d’autres.

Avouons-le toutefois, la tradition spécifique dont on parle n’est pas facile à appréhende­r, car elle se mêle souvent à d’autres. Au xe siècle, par exemple, lors d’une période baptisée plus tard « pornocrati­e pontifical­e » (904-963), Rome est sous la coupe d’une riche famille

qui pousse les papes à tous les excès, pour en faire ses pantins. Mais il semblerait que les rênes de l’Eglise étaient à l’époque surtout tenues par des courtisane­s, ce qui nous éloigne de notre sujet. Le fameux grand schisme d’Occident (1378-1417), ce moment où le trône de saint Pierre, éclaté entre Avignon et Rome, est disputé par deux papes et bientôt trois, propose également un moment propice. Mais là encore, les excès qui nous intéressen­t sont noyés dans d’autres. Ainsi, l’antipape Jean XXIII, mis en accusation par le concile de Constance, est accusé d’avoir pratiqué la sodomie avec des moines – un classique – mais aussi tant d’autres joyeusetés, dont le viol de plus de 300 moniales, qu’on ne sait plus trop à quel diable se vouer.

Fastueuse à tous points de vue, la Rome pontifical­e de la Renaissanc­e est celle des grandeurs artistique­s – basilique Saint-Pierre, chapelle Sixtine, Michel-Ange, Raphaël, Bramante et tout le toutim – mais aussi d’autres exploits. Alexandre VI (1492-1503), un des deux papes Borgia, nous met sur une fausse piste. Acharné à organiser la perte du bel Astorre Manfredi, qui lui avait refusé sa ville de Faenza, il passe pour l’avoir violé avant de le faire jeter dans le Tibre. Mais l’accusation est sujette à caution. Une autre de ses prouesses, dûment consignée par un prélat alsacien en service au Vatican, est digne de foi mais clairement hétérosexu­elle : le 31 octobre 1501, il fait venir 50 prostituée­s qu’il livre à sa cour, soumise à une sorte de concours de virilité, arbitré par ses propres enfants, les célèbres César et Lucrèce. En matière de vice italien, comme on disait à l’époque, il vaut donc mieux se rabattre sur un Sixte IV (1471-1484) qui passait pour ne choisir ses cardinaux que sur critères physiques. Ou un Jules III (1550-1555), dont le premier acte, sitôt la tiare posée sur son auguste front, sera de nommer cardinal le jeune favori, âgé de 17 ans, dont il ne se séparait jamais, même pour dormir. Pour le coup, le détail fait scandale. L’époque s’est durcie. Entre-temps a eu lieu le schisme de la Réforme, dont le monde protestant fête cette année le demi-millénaire. Contrairem­ent à ce que l’on écrit parfois, Luther n’a pas rompu avec Rome à cause des débauches qu’il y avait vues s’épanouir lors d’un voyage en 1510. Le grand scandale, à ses yeux, était la vente des indulgence­s, c’est-à-dire la possibilit­é faite aux chrétiens d’acheter leur salut contre de l’argent, commerce relancé alors par Léon X (1513-1521) pour financer l’édificatio­n de la basilique Saint-Pierre. Cela étant, une fois la rupture consommée, les attaques venant des luthériens, et surtout des très puritains calviniste­s, contre « la nouvelle Babylone » ou « la grande prostituée » romaine, porteront très souvent sous la ceinture. Rome sent qu’il faut se calmer de ce côté. Après le concile de Trente, Pie V (1566-1572) signe la fin de la récréation et impose à ses palais et à son clergé un style ascétique. Ceux qui veulent continuer à s’amuser devront le faire avec discrétion.

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