JEANNE MOREAU AU THÉÂTRE
C’est une représentation de l’« Antigone » de Jean Anouilh à laquelle elle a assisté sous l’Occupation qui va tout déclencher. Faute d’électricité, le toit du Théâtre de l’Atelier est resté ouvert pour jouer à la lumière du jour. Elle s’identifie aussitôt à cette petite rebelle « toute menue, dans ce puits de lumière ». A présent, elle sait que sa place est là, pas ailleurs. Elle suit d’abord, en cachette de ses parents, les cours de Denis d’Inès, illustre sociétaire de la Comédie-Française. Six mois plus tard, elle est admise comme auditrice à la Comédie-Française, puis elle en devient pensionnaire. Ses parents, étant tombés sur sa photo dans « Un mois à la campagne », de Tourgueniev, la chassent de chez eux. Pourtant sa mère avait été danseuse. Elle avait même été l’une des girls de Joséphine Baker aux Folies-Bergère. Quelle a été leur réaction quand elle a fait la couverture de « Paris Match » sous les traits de la petite prostituée des « Caves du Vatican », d’André Gide, mis en scène par Jean Meyer ? Quoi qu’il en soit, elle reçoit alors en compensation les éloges du redoutable et prestigieux Paul Léautaud. La voici qui quitte le Français pour rejoindre le TNP de Vilar. Elle joue à Avignon l’Infante du « Cid » au côté de Gérard Philipe. Elle aurait préféré le rôle de Chimène. Elle est aussi une remarquable Nathalie dans « le Prince de Hombourg », de Kleist, toujours avec Gérard Philipe. Puis elle interprète « la Chatte sur un toit brûlant », de Tennessee Williams, sous la direction de Peter Brook. A partir de là, elle ne reviendra au théâtre que de loin en loin. Mais chaque fois ou presque, avec succès, que ce soit dans « la Chevauchée sur le lac de Constance », « le Récit de la servante Zerline » ou encore dans « la Célestine » de Fernando de Rojas, mis en scène par Antoine Vitez en 1989 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Où elle reviendra une dernière fois en 2007 pour une mémorable lecture de « Quartett », de Heiner Müller, avec Sami Frey. Sur scène, Jeanne Moreau a toujours su avec brio surmonter ses faiblesses et tiré parti à merveille de sa voix nasillarde. Elle faisait la joie des imitateurs. Avec le temps, elle était devenue plus qu’une actrice, un personnage.