L'Obs

LE CHOIX DE L’OBS Buñuel mi amor

« 7 FILMS DE LUIS BUÑUEL », RÉÉDITION EN COPIES RESTAURÉES.

- FRANÇOIS FORESTIER

Sept films de la dernière période de Don Luis, à voir, à revoir, à savourer ou à détester, voire à louer ou à vomir, pas de grisaille là-dedans. Dans l’ordre (mot qu’il détestait) : d’abord « le Journal d’une femme de chambre » (1964), avec Jeanne Moreau, bonne à (vraiment) tout faire. Puis « Belle de jour » (1967), avec Catherine Deneuve en pute de luxe, d’après le livre de Kessel. « La Voie lactée » (1969), délire hérétique sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostell­e. « Tristana » (1970), cruelle fable maso rêvée par Pérez Galdós. « Le Charme discret de la bourgeoisi­e » (1972), grande bouffe impossible, sans cesse interrompu­e. « Le Fantôme de la liberté » (1974), machine surréalist­e qui démarre sur une citation de Marx et continue sur des coq-à-l’âne. Enfin, « Cet obscur objet du désir » (1977), conte à tiroirs inspiré de Pierre Louÿs, avec une femme (Carole Bouquet ou Angela Molina, va savoir, c’est la même mais différente) et un pantin, évidemment. La question se pose : le cinéma de Buñuel a-t-il vieilli ? Les outrances qui scandalisa­ient les bienpensan­ts et les grenouille­s de bénitier sont-elles encore vivaces? Ces curés dévergondé­s, ces vieillards fétichiste­s, ces bonnes femmes nymphomane­s, ces bourgeois hypocrites, ces cagots adultères peuvent-ils encore hérisser le poil (ou la moustache) des chaisières ? Non. Mais désormais, ce n’est plus le sacrilège qui séduit, c’est la poésie de l’absurde. Il y a, chez Buñuel, des ruptures de ton, des dégagement­s inattendus, des dingueries de passage, des blagues de potaches, des cadavres vachement exquis.

Ce qui a vieilli, en revanche, c’est la lumière : la façon d’éclairer les personnage­s, de les situer sous le projecteur, typique des années 1960-1970, est démodée. Mais ce n’est pas ce qui intéresse Buñuel (« Si l’image est jolie, c’est son affaire ») : il a envie de jouer, de montrer un univers parfaiteme­nt adossé à la religion (sur laquelle on peut cracher), de régler la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection. Le trublion aragonais qui déchaîna les passions avec « Un chien andalou » et « l’Âge d’or » accumule les zigzags, les retourneme­nts, les vices (versa) et, avec son complice Jean-Claude Carrière, invente et perpétue une nouvelle forme de cinéma. Les bourgeois, chez lui, sont comme les cochons et Dieu (dans tout ça) est le grand Faux-Cul. Voir du Buñuel, c’est communier en Sainte Euphorie. Si, si.

 ??  ?? Catherine Deneuve, dans « Belle de jour », en 1967.
Catherine Deneuve, dans « Belle de jour », en 1967.

Newspapers in French

Newspapers from France