Corse, l’armée des ombres
UNE VIE VIOLENTE, PAR THIERRY DE PERETTI, DRAME FRANÇAIS, AVEC JEAN MICHELANGELI, HENRY-NOËL TABARY, CÉDRIC APPIETTO (1H53).
Fin des années 1990. Galvanisé par la pensée marxiste, Stéphane (Jean Michelangeli), étudiant en sciences politiques issu de la petite bourgeoisie bastiaise, rejoint un mouvement indépendantiste. Le FLNC vient de se diviser. S’instaure entre les branches dissidentes une lutte qui, à défaut d’être révolutionnaire, sera finale pour les jeunes recrues comme Stéphane. La Corse, son séparatisme, ses guerres de clans. Thierry de Peretti, enfant du pays, défriche un territoire laissé vierge par le cinéma. Pour son deuxième film, après « les Apaches », déjà consacré à la jeunesse sur l’île de Beauté, il s’inspire librement du parcours de Nicolas Montigny qui donna une longue interview à « Paris Match » (on en entend un long extrait dans la glaçante séquence finale) avant de voir sa vie sacrifiée sur l’autel d’une cause qui n’avait plus rien à voir avec celle qu’il croyait défendre. Ceux qui s’attendent aux « Affranchis » au pays du brocciu en seront pour leurs frais. Si la structure narrative du film n’est pas si éloignée de celle du Scorsese, nulle flamboyance dans la mise en scène, ni ivresse de la violence. Peretti refuse les effets. Avec sa caméra tenue à distance, il observe en plans-séquences, tel l’oeil du témoin, la tragédie se mettre en place. La distribution, composée uniquement de locaux, acteurs professionnels ou amateurs, ajoute au sentiment de véracité. Ici, les hors-la-loi s’habillent en tee-shirts-jeans-baskets, portent une banane en bandoulière et parlent les uns sur les autres; les alliances se nouent au bistrot et les comptes se règlent hors champ, entre les murs de pierre d’une ferme abandonnée, ou au loin, derrière les vignes bercées par le chant des grillons. Le choeur antique, lui, prend la forme d’un repas du dimanche entre épouses et mères s’admonestant avec un franc-parler et un accent qui n’ont de pittoresque que leur naturel. Etonnant, d’ailleurs, comme ce film d’hommes, au fur et à mesure que la loi du milieu fait son oeuvre, n’est plus peuplé que par des femmes. Anti-spectaculaire mais d’un réalisme qui fait froid dans le dos, « Une vie violente » (présenté à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes) agit comme un poison lent : on met du temps à en saisir le goût, à en déceler la portée, et le moment venu, il a déjà fait son effet. Le cercle inéluctable de la violence liée au nationalisme mafieux nous a pris, Stéphane et nous, spectateurs, dans son étau.