Extrême droite
Militante de la Manif pour tous, favorable à l’immigration zéro, Emmanuelle Ménard, députée FN et épouse du maire de Béziers, compte défendre à l’Assemblée ses idées radicales
Emmanuelle Ménard, réactionnaire sans frontières
Une femme pressée débarque au café. Jean, blazer bleu à coudières grises, médaille religieuse autour du cou. Elle fait comprendre qu’elle n’a pas beaucoup de temps. « Les journalistes ne sont pas ma priorité. » Elle a tout de même vu Mediapart et « Libé ». « Tous des amis ! dit-elle en plaisantant. Peut-être que j’intrigue… » Emmanuelle Ménard, 48 ans, ancienne juriste et journaliste, est devenue députée de l’Hérault et entend favoriser la synthèse dont elle et son mari, le trublion et maire de Béziers, rêvent : l’union de toutes les droites.
Résumé de parcours : enfance et jeunesse à Lille, puis maîtrise de droit international à Paris. En 1993, elle devient responsable du programme Afrique subsaharienne à la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et fait son « baptême de feu avec le génocide au Rwanda ». Réunions pour le lancement de la Cour pénale internationale, massacre du Congo-Brazzaville, le combat sera long. Patrick Baudouin, président de la FIDH à l’époque, se remémore cette femme
« irréprochable », dotée d’un « certain caractère », qui n’était « pas la plus facile à contrôler ». Aujourd’hui, pourtant, il la considère comme une « adversaire » des droits de l’homme. En 2000, au Sommet de la Francophonie à Bamako, Emmanuelle Duverger croise le chemin de Robert Ménard, alors président de Reporters sans Frontières (RSF). Ils ne se quitteront plus.
« Qu’est-ce que je vais faire ? » se demandet-elle après son départ de la FIDH, en 2003. Quelques piges, puis un livre avec son époux : « la Censure des bien-pensants » remet en question la loi Gayssot, qui réprime les actes racistes ou antisémites et la contestation des crimes contre l’humanité. Premier jalon de la pensée ménardienne : toutes les idées doivent pouvoir s’exprimer, même les plus extrêmes. « On a la culture américaine du premier amendement, la liberté fonctionne aussi pour les opinions », analyse Robert Ménard. Un deuxième livre sortira en 2011 : « Vive Le Pen ! »
En 2004, le duo lance la revue « Médias ». Et Emmanuelle est propulsée rédactrice en chef. Patrick Eveno, qui a claqué la porte du comité de rédaction en 2008, évoque une dérive politique : « Les époux Ménard ne faisaient plus de journalisme, ils laissaient dire n’importe quoi à n’importe qui. Un travail de propagandistes. » Le polémiste antisémite Alain Soral, le théoricien du grand remplacement Renaud Camus ou l’intellectuel de la nouvelle droite Alain de Benoist, nombreuses sont les personnalités sulfureuses qui ont rempli les pages. La publication s’arrête en 2012.
La même année, le couple lance le site Boulevard Voltaire avec le journaliste Dominique Jamet. L’idée? Un espace de débat pour « des gens pas forcément bien vus dans les médias classiques », de droite ou de gauche, jure-t-elle. Michel Cardoze, ancien journaliste de « l’Humanité » et membre du PCF, y a contribué. « Je leur servais de caution pluraliste et m’en foutais complètement ! » lance-t-il. Avant de confier avoir arrêté d’écrire. Trop de pression… Démissionnaire en avril 2016, Dominique Jamet raconte qu’il « ne restait que des collaborateurs de droite et d’extrême droite », ce qui « ne déplaisait pas à Emmanuelle Ménard », patronne aux « idées claires et arrêtées », « une main de fer dans un gant de velours » La concernée le déplore. « Philippe Poutou, qu’on a interviewé, ne s’est pas demandé qui on était, c’est la bonne réaction. Vous êtes “l’Obs”, je pourrais dire : “Un média de gauche, ça va être l’horreur !” Mais je ne dis pas non, car j’ai toujours l’espoir de vous convaincre que je suis juste normale ! »
Emmanuelle Ménard ne supporte pas qu’on la « mette dans une case ». Comme lorsqu’elle est dépêchée en 2014 pour animer des master class à l’institut des hautes études de journalisme de Montpellier. Plusieurs enseignants démissionnent pour protester contre son arrivée. « Ils ne m’avaient jamais vue! » s’indigne-t-elle. Tant pis pour eux. Elle sait pourquoi elle est venue : « Ouvrir les étudiants sur l’extérieur. » Elle invite Michel Cardoze. Et embarque ses ouailles à une conférence d’Eric Zemmour à Béziers.
Militante de la Manif pour tous, Emmanuelle Ménard revendique un catholicisme de combat. Jean-Michel Du Plaa, opposant PS à Béziers, la désigne comme l’initiatrice de « l’esprit de croisade du maire : la crèche en mairie, la messe pour la féria, le port de blouses à l’école ». Réponse de Robert Ménard : « Mon retour à la religion, c’est Emmanuelle. Bien sûr que je lui demande son avis sur les grandes orientations, mais vous ne la verrez jamais à la mairie. » A peine lancée sur le sujet, la députée s’applique à démentir les « rumeurs » : « Je ne suis ni intégriste ni traditionaliste. Oui, je vais à la messe régulièrement. En latin rarement : seulement à l’invitation du prêtre. »
Elle ne s’en cache pas, sa religion l’influence politiquement : « On ne peut pas être catholique le matin et ne plus l’être en franchissant les murs de l’Assemblée. Evidemment que cela induit un raisonnement, une sensibilité sur certains sujets. » La famille, notamment : elle s’oppose à la PMA pour les couples de femmes.
Radicale. Comme sur l’immigration : elle défend la fermeture des frontières. « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli », dit pourtant l’Evangile selon saint Matthieu. « Accueillir dignement, dans le respect de la personne, réplique-t-elle. En France, on en est incapable. Les migrants sont porte de la Chapelle ou à Calais dans des camps. Les politiques ne peuvent pas laisser les frontières ouvertes et dire : “Démerdez-vous sous le métro.” »
Beaucoup ne peuvent s’empêcher de la comparer à son époux. « Plus policée et moins provocatrice », pour Jean-Michel Du Plaa. « Moins exaltée mais avec des convictions aussi affirmées », pour le magistrat Philippe Bilger, qui les connaît bien. « Aussi discrète que lui est fracassant », pour le cofondateur de RSF Jacques Molénat. Pourtant, elle rêve également du grand fracas. Faire exploser ce plafond de verre qui isole le FN. Rameuter des individualités pour constituer un groupe à l’Assemblée. Nicolas Dupont-Aignan, des brebis galeuses LR… « Je veux bien faire le pont, mais il faut que quelqu’un fasse le premier pas, plaidet-elle. Après avoir bu trois cafés ensemble, on verra qu’on a 90% d’idées communes. On fera tomber les barrières et les tabous. »
Son élection est brandie comme un exemple : soutenue par le FN et Debout la France, élue malgré l’appel du candidat LR à voter En Marche !. « Les électeurs n’ont pas suivi ! Eux sont prêts à cette union des droites que les appareils refusent. » On lui fait remarquer que cela ressemble plutôt à l’union des droites extrêmes. « Vous voulez me fâcher? demande-t-elle en souriant. J’ai eu le soutien du Cnip [le Centre national des Indépendants et Paysans, NDLR], le plus ancien parti de France! » Emmanuelle Ménard aime les vieilles choses. Un peu comme ces objets qu’elle chine dans les brocantes. Jusqu’à exaspérer son mari. « Quand je l’ai rencontrée, elle en faisait trois par semaine. Je lui dis toujours : “Mais où tu vas mettre ça?” “On verra.” Et puis elle entasse... » Conservatrice, Emmanuelle Ménard.