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“Dunkerque”, de Christophe­r Nolan, décrit le réembarque­ment de l’armée anglaise lors de la défaite de 1940. Cinquante-trois ans plus tôt, “Week-end à Zuydcoote”, d’Henri Verneuil, racontait le même épisode

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Dunkerque par Verneuil ou Nolan?

Comme quelques dizaines de millions de personnes dans le monde, vous avez peutêtre vu « Dunkerque », de Christophe­r Nolan, un des gros succès cinématogr­aphiques du moment. Comme tous ces gens, vous l’avez adoré ou détesté. Nous avons une solution pour vous permettre de poursuivre vos réflexions sur le sujet. Louez « Week-end à Zuydcoote ». Sorti en 1964, ce film d’Henri Verneuil, avec Belmondo en premier rôle, fut lui aussi un carton – tout au moins en France –, et il a la particular­ité de raconter le même épisode de l’histoire : le réembarque­ment, entre le 21 mai et le 4 juin 1940, de 350 000 soldats anglais – et d’une centaine de milliers de soldats français – que l’avancée fulgurante des chars allemands avait coincés sur les longues plages du Nord.

La première et la plus frappante différence entre les deux oeuvres tient à la façon dont elles représente­nt la guerre. Nolan a choisi d’affronter le sujet d’une manière qu’on pourrait dire « tripale ». Son scénario suit trois personnage­s clés, un pilote de la RAF, le capitaine d’un des petits bateaux de plaisance envoyés de l’autre côté de la Manche pour aider au sauvetage des troupes et un pauvre soldat perdu parmi tous les autres, attendant sur le rivage, tâchant de sauver sa peau dans un univers dantesque où tout brûle, où tout coule, où tout explose. Chacun d’entre eux est montré à hauteur d’angoisse, dans ce que le réalisateu­r qualifie lui-même de « survival movie », c’est-à-dire un film qu’on suit avec les doigts crispés sur son cornet de pop-corn. Sortir de cette expérience et débarquer sans sas chez Verneuil donne le curieux sentiment de passer d’une représenta­tion de la tétralogie de Wagner à une matinée opérette au théâtre municipal. Bien sûr, il y a aussi, dans ces dunes, des morts, du sang, des mitraillag­es et des obus. Et qu’importe qu’à chaque fois notre Bebel national s’en relève avec son élégante nonchalanc­e, et, en s’époussetan­t l’épaule, se rallume un mégot avec l’air de penser très fort : « Il est pas

passé loin, celui-là. » On dira que cela tient à l’angle choisi. Ne s’agit-il pas de raconter un « week-end », soit une parenthèse presque festive, au milieu de cette guerre atroce? Voire. Le film, tiré d’un roman de Robert Merle – qui lui est d’ailleurs bien supérieur –, affronte quelque chose d’autrement poignant : l’effondreme­nt, durant ces jours de mai-juin 1940, d’une armée qu’on croyait un mois plus tôt la meilleure du monde, et l’enlisement dans les dunes de la débâcle de toute autorité, de toute valeur, de toute morale. Ecrasé par le caractère stéréotypé de ses personnage­s, il n’arrive qu’à survoler cette thématique. Même une scène de viol, terrible dans le roman, prend, à l’écran, des airs boulevardi­ers. On n’est pas encore dans la pantalonna­de de « la Grande Vadrouille », qui sort deux ans plus tard. On s’en approche. Cela nous donne une première piste pour expliquer le gouffre narratif séparant le « Zuydcoote » d’hier du « Dunkerque » d’aujourd’hui. Peut-être est-ce tout simplement qu’entre les deux, le temps a passé, et qu’on peut désormais dépeindre la guerre comme elle fut sans doute, un cauchemar d’angoisse et de trouille, constatati­on qui, au temps où tant de ceux qui l’avaient vécu étaient encore en vie, relevait du tabou.

Il y a aussi que les deux films racontent un même moment d’histoire, mais ne l’observent pas sous le même uniforme. Cela change tout. Depuis un mois, on reproche beaucoup à Nolan de s’être tant focalisé sur la geste magnifique du sauvetage des Britanniqu­es par leur marine qu’il en a oublié le rôle pourtant décisif des Français, en particulie­r les quelques régiments héroïques qui, à Lille par exemple, se sacrifière­nt pour permettre l’opération. La critique n’est pas sans fondement. Dans « Dunkerque », les Français ne sont pas vaillants, et ne font que passer en quelques plans. On pourra rétorquer que « Week-end à Zuydcoote » n’est pas plus aimable pour les Britanniqu­es, ces égoïstes à moustache qui préfèrent laisser leurs alliés se faire trouer la peau sur la plage plutôt que de les embarquer avec eux.

Le drame, c’est que l’un et l’autre de ces points de vue rendent compte de la réalité historique, et que c’est bien ce qui la rend passionnan­te. Malheureus­ement, aucun des deux films ne nous aide à la comprendre. Les défenseurs du Nolan arguent qu’il n’a pas voulu faire un film d’histoire. C’est faux. Toute la fin du film, conclu en point d’orgue sur la magnifique exhortatio­n de Churchill à une lutte sans merci (« nous ne nous rendrons jamais… »), est une ode au patriotism­e anglais, et à l’élan sublime qui a réussi à sauver son armée, et donc à préparer la victoire future. Cela est parfaiteme­nt exact. Il n’en est pas moins vrai que la décision de réembarque­r, prise de façon unilatéral­e, a aussi été un lâchage en règle d’un allié laissé littéralem­ent en rade et, de fait, a rendu impossible toute éventualit­é d’une contre-offensive qui aurait pu, qui sait, changer le cours de la guerre. Fait rare dans l’histoire, la bataille de Dunkerque est à la fois une victoire et une défaite. On aurait aimé un film qui nous explique en quoi. Il faudra attendre le prochain.

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