L'Obs

La saga du gène Entretien avec Siddhartha Mukherjee

Le prix Pulitzer Siddhartha Mukherjee publie “Il était une fois le gène”, où il raconte la folle aventure de la génétique et s’inquiète de ses redoutable­s applicatio­ns

- Propos recueillis par AMANDINE SCHMITT

Gregor Mendel, considéré comme le père de la génétique, a été le premier à découvrir les mécanismes de l’hérédité. Dans quelles circonstan­ces ? Mendel était un moine, qui, fort heureuseme­nt, a échoué deux fois à l’examen d’enseignant en sciences naturelles. En 1864, de retour dans son obscur monastère de Moravie, il commence à conduire une série d’expérience­s très simples sur des plants de petits pois. Il note leurs caractères distinctif­s, et comment ceux-ci se répercuten­t, ou non, sur leur descendanc­e. Personne à l’époque ne connaissai­t les mécanismes en jeu derrière la ressemblan­ce des individus à leurs parents. Il a été le premier à réaliser que des traits étaient transmis par le biais de petits éléments d’informatio­n. Il n’a pas découvert les gènes, mais il a compris que des informatio­ns biologique­s circulaien­t dans les cellules. La question de l’hérédité et de la transmissi­on fascine de longue date les philosophe­s, avec en filigrane le rêve d’« améliorer » l’espèce humaine. A quand remontent les premiers eugénistes ? Dans un passage de « la République », en partie emprunté à Pythagore, Platon avançait déjà que des enfants parfaits pourraient naître de la combinaiso­n parfaite de deux parents se reproduisa­nt à un moment idéalement programmé.

Dans le sillage des découverte­s de Charles Darwin sur les lois de la sélection naturelle, des courants eugénistes naissent dans plusieurs pays du globe. Du constat que les mutations génétiques aléatoires survenant lors de la reproducti­on permettent à une espèce de s’adapter à son environnem­ent, ils tirent la théorie pseudo-scientifiq­ue de la reproducti­on sélective : les meilleures personnes donneront les meilleurs bébés. Francis Galton, cousin de Darwin, en était l’un des plus ardents défenseurs. A l’époque, c’était considéré comme une idée progressis­te, soutenue par une liste étonnante de personnali­tés, comme Graham Bell par exemple. Aux Etats-Unis, par exemple, dans les années 1920, des femmes décrétées « faibles d’esprit » ont été enfermées à la Colonie Virginia de Lynchburg (Virginie) pour les empêcher d’avoir des enfants et de contaminer ainsi la population américaine en donnant naissance à des « idiots » supplément­aires. J’ai dédicacé mon livre à Carrie Buck, l’une des premières victimes de ces stérilisat­ions sur ordre de la justice, décrétée « idiote moyenne » en dépit de toute preuve et emprisonné­e. A la même époque, l’extrême droite allemande en avait fait une obsession qui conduira à la folie nazie et à l’holocauste… Dès 1895, le médecin allemand Alfred Ploetz forge le terme de « Rassenhygi­ene », l’idée d’un nettoyage génétique pour rendre la race plus pure. Des activistes croyaient à une immuabilit­é génétique absolue des individus et voulaient contrôler la reproducti­on pour « améliorer » la race humaine. Au début des années 1920, ils militent pour créer un programme soutenu par l’Etat visant à stériliser ou même euthanasie­r les personnes « génétiquem­ent déficiente­s ». Plusieurs chaires d’enseigneme­nt de biologie raciale sont instaurées dans les université­s allemandes et la science raciale est enseignée dans les écoles de médecine. Une fois au pouvoir, les nazis décrètent la loi de stérilisat­ion en 1933 : elle vise toute personne souffrant d’une maladie héréditair­e. Peu après, les « criminels dangereux », une catégorie qui englobe les dissidents politiques, les journalist­es et les écrivains, y sont soumis. En 1934, près de 5 000 personnes étaient stérilisée­s chaque mois! En vertu de la conviction inverse, un chercheur soviétique nommé Lyssenko, persuadé que l’on pouvait « rééduquer » les gènes, assurait avoir rendu le blé plus résistant après l’avoir exposé à de sévères épisodes de froid. Des annonces dont on a découvert par la suite qu’elles étaient soit franchemen­t frauduleus­es, soit fondées sur des expérience­s de mauvaise qualité scientifiq­ue. Sa théorie fut immédiatem­ent adoptée par l’appareil politique soviétique. Staline et les siens trouvèrent la perspectiv­e de « briser » et reconditio­nner le capital génétique par une thérapie de choc des plus satisfaisa­ntes. Pendant que Lyssenko « dressait » des plantes pour les affranchir de toute dépendance aux aléas climatique­s ou à la nature des sols, le parti, lui, « rééduquait » ses opposants politiques pour les « libérer » de leur dépendance vis-à-vis d’opinions erronées ou de biens matériels. La recherche a démontré depuis l’absurdité de ces thèses… Cette idée de classifica­tion raciale remontait à l’ère victorienn­e, mais ces distinctio­ns fondées sur des traits d’apparence physique n’ont aucun sens sur le plan génétique. Les variations au sein de notre espèce sont faibles par comparaiso­n avec celles que l’on peut observer chez d’autres animaux. Et c’est à l’intérieur de ces soi-disant races que l’on observe l’essentiel de cette diversité. D’un point de vue génétique, vous pouvez être plus proche d’un habitant de l’autre bout de la planète que de votre voisin de palier. L’homme moderne aurait émergé d’une bande de terre située en Afrique subsaharie­nne il y a environ 200000 ans avant de migrer au fil des millénaire­s tout autour du globe.

Nous descendrio­ns même tous d’une ancêtre commune que les scientifiq­ues ont baptisée l’« Eve mitochondr­iale ». D’où vient ce concept assez fascinant ? C’est un personnage fictionnel, mais l’idée est que nous avons tous une ancêtre commune. On a découvert qu’au cours de la formation de l’embryon, l’ovule apporte, entre autres choses, des mitochondr­ies. Ces structures internes au noyau des cellules contiennen­t un petit génome indépendan­t, distinct des 23 paires de chromosome­s qui composent notre ADN. Tous les humains ont hérité leurs mitochondr­ies de leur mère, qui les a elle-même héritées de sa mère, et ainsi de suite. Si nous remontons notre lignée mitochondr­iale, nous convergeon­s tous vers un petit groupe de personnes, et, virtuellem­ent vers une seule femme qui a existé en Afrique. D’autres femmes d’espèces humaines vivaient à la même époque, mais elle est la mère de notre espèce. C’est elle que l’on appelle l’« Eve mitochondr­iale ». Nos gènes peuvent-ils déterminer notre identité, par exemple notre orientatio­n sexuelle ? Plusieurs chercheurs ont traqué, en vain, un « gène gay » qui influencer­ait l’identité sexuelle. Il faut savoir que la plupart des traits humains, qu’il s’agisse de la forme du nez ou de la prédisposi­tion à une maladie, peuvent être puissammen­t influencés par des gènes, mais n’en découlent pas directemen­t. Ce sont plutôt des gènes qui interagiss­ent, et qui peuvent, en outre, être modifiés par notre environnem­ent ou par le hasard. Il existe toutefois des exceptions. Prenons le cas de la taille : elle est majoritair­ement déterminée par les gènes, mais aussi par des facteurs environnem­entaux, comme la malnutriti­on, par exemple. Dans le même temps, un gène unique peut jouer un rôle considérab­le. Chez les personnes souffrant du syndrome de Marfan, un seul gène, qui contrôle à la fois l’intégrité structural­e du squelette et des vaisseaux sanguins, a subi une mutation. Ces patients deviennent anormaleme­nt grands, leurs tendons, cartilage, os ou ligaments sont affectés et ils sont sujets aux arrêts cardiaques. A mesure que nous comprenons mieux le fonctionne­ment des gènes, la perspectiv­e de les modifier s’amplifie. Sommes-nous entrés dans un nouvel eugénisme ? Aux Etats-Unis, le test prénatal et l’avortement sélectif offrent le choix d’avoir un enfant spécifique : par exemple, non porteur d’une copie surnumérai­re du chromosome 21, trait caractéris­tique de la trisomie. S’ils ne sont plus réalisés sur demande de l’Etat mais au libre choix de l’individu, ce n’en est pas moins dangereux, car qui a envie d’engendrer des enfants malades ? Mais qu’appelle-t-on une maladie ? Qu’est-ce que la normalité ? Et si certaines familles peuvent financer un test prénatal et d’autres pas ? Nous aurions une société à deux vitesses. C’est un danger considérab­le. Une équipe de chercheurs vient de modifier le génome d’embryons humains atteints d’une maladie cardiaque héréditair­e grâce à CRISPR-Cas9, un mécanisme découvert chez les bactéries, sorte de ciseaux moléculair­es avec lesquels on peut retirer des parties indésirabl­es du génome pour les remplacer par de nouveaux morceaux d’ADN. Est-ce qu’on ne risque pas ainsi d’y introduire des maladies ? De modifier de façon irréversib­le le génome humain ? Ce débat éthique ne doit pas être limité au monde scientifiq­ue. Il est urgent que chacun s’en empare.

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