L'Obs

Les chroniques de Nicolas Colin, Raphaël Glucksmann

- Par RAPHAËL GLUCKSMANN Essayiste, auteur de « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes ». R. G.

Jean-Marie Le Pen avait raison. Oui, vous avez bien lu : Jean-Marie Le Pen avait raison. Avant tous les autres. Ni sur la Shoah ni sur l’immigratio­n, cela va de soi, mais sur les évolutions du paysage politique français. Son slogan de 1995 – « Ni droite ni gauche » – est le tube absolu de 2017. Le clivage droite-gauche qui structure notre vie publique depuis la Révolution de 1789 est dépassé. Mort. Enterré. On le répète ad nauseam. Jean-Marie Le Pen est donc un visionnair­e. Et moi, un ringard.

Les trois forces qui ne sortent pas laminées du tremblemen­t de terre électoral printanier déclinent toutes, chacune à sa manière, chacune dans sa langue, ce fameux « Ni droite ni gauche » du prophète de Saint-Cloud. La République en Marche dit, par pudeur, « et droite et gauche ». Le Front national se réclame de la « patrie-qui-n’est-ni-de-droite-ni-de-gauche » contre le « mondialism­e ». Les « insoumis » parlent bien plus du « peuple » opposé à l’« élite » que de cette « vraie gauche » à laquelle aspirait encore feu le « front de gauche ».

En ce mois de septembre 2017, comme Marine Le Pen n’a pas surmonté son explosion lors du débat d’entre-deux-tours, une partie de ping-pong s’installe entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Les lieutenant­s du premier répètent en boucle que les « réalistes », les « pragmatiqu­es », « ceux-qui-travaillen­t » font désormais face aux « idéologues », aux « utopistes », à ceux qui « protestent ». A leurs yeux, les « sachants » gouvernent quand les « croyants » s’indignent. Il n’y a que le Réel et l’Irréel. Et, entre Macron et Mélenchon, il n’existe rien. Surtout pas de place pour le doute.

Les « insoumis », eux, appellent le « peuple » à combattre le « coup d’Etat social » des « puissances de l’argent ». Les « gens » – tous ceux qui ne sont ni oligarques ni médiocrate­s – doivent se révolter contre la « caste ». Iñigo Errejón, figure emblématiq­ue de Podemos, revendique ouvertemen­t cette stratégie comme « populiste ». « Nous » (le Peuple) et « eux » (la Caste) sont deux entités irréconcil­iables. Deux essences. Et là encore, entre Mélenchon et Macron, il n’existe rien. Surtout pas de place au doute.

Et moi, qu’un tel ping-pong laisse perplexe, je me sens ringard. A côté de la plaque. Décalé. Qu’en est-il de nous qui ne suivons ni M. Macron ni M. Mélenchon ? Notre désarroi me rappelle une blague juive. Cela se passe en Belgique. Une guerre civile féroce fait rage entre Flamands et Wallons. Pour mettre fin au bain de sang, le roi rassemble tous les citoyens sur la grand-place, prend acte de la division du pays et demande aux Wallons de se mettre sur la gauche et aux Flamands de se déplacer vers la droite. Tous obéissent. Sauf une poignée de gens avec des kippas et des papillotes, qui restent au milieu et demandent benoîtemen­t au roi : « Mais nous, les Belges, on va où ? ».

Nous sommes les juifs de cette histoire. Nous, les ringards qui pensons qu’un espace existe entre le libéralism­e technocrat­ique qui baisse les APL pour les étudiants tout en supprimant l’ISF pour les actionnair­es et le populisme souveraini­ste. Nous, les sans-parti-fixe de 2017. Nous aimons voir de nouvelles têtes et de nouvelles forces émerger, mais nous regrettons ce vieux clivage droite-gauche qui, s’il avait tous les défauts du monde, avait néanmoins une qualité fondamenta­le pour la démocratie : celle d’opposer deux visions du monde plutôt que deux essences (le Peuple, le Réel). Celle donc de laisser entrevoir l’alternance sans crier à la fin du monde.

Soyons honnêtes : si ce clivage est (momentaném­ent) mort, ce n’est ni la faute d’Emmanuel Macron ni celle de Jean-Luc Mélenchon. C’est le résultat des innombrabl­es trahisons et de l’inégalable paresse intellectu­elle du Parti socialiste et de l’UMP/LR qui prétendaie­nt l’incarner et l’ont durablemen­t discrédité. Alors celles et ceux qui ont tout mis à terre doivent se retirer. Remercions les médias qui les accueillen­t à bras ouverts comme chroniqueu­rs et passons à autre chose.

Le ping-pong actuel n’est pas une fatalité. Nous pouvons démentir le visionnair­e de Saint-Cloud, réinventer une gauche sociale, démocrate, écologiste et européenne. Les ringards de 2017 auront peut-être raison en 2022. Ou en 2026. Les gens se baladent bien à nouveau avec des tennis Stan Smith aux pieds trente ans après. La gauche a donc peut-être un avenir. Et la droite avec elle.

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