L'Obs

Royaume-Uni

« Le Brexit aura bel et bien lieu » Entretien avec Ken Follett

- Propos recueillis par SARAH HALIFA-LEGRAND

Pourquoi avez-vous écrit sur Twitter le jour du référendum sur le Brexit : « Today Britain becomes a backwater. End of 500 glorious years » (« Aujourd’hui, le Royaume-Uni devient un coin perdu. C’est la fin de cinq cents glorieuses années »)?

Il y aura trois grandes puissances dans le monde pour les cinquante prochaines années, voire un siècle : les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. Nous sommes sortis de l’Union européenne, nous ne comptons donc plus. Dans les discussion­s sur les grands événements du monde, personne ne se tournera vers nous pour nous demander : « Qu’en pensent les Britanniqu­es? » Car cela n’aura plus grande importance. Nous avons tout simplement abandonné notre pouvoir. Nous sommes redevenus un pays de seconde zone.

L’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne date de 1973. Pourquoi parlez-vous de « cinq cents glorieuses années »?

Parce que la période entre Elisabeth Ire et aujourd’hui correspond presque à un demi-millénaire. Or c’est le siècle d’Elisabeth qui a fait basculer l’Angleterre dans le monde des grandes puissances, et cette période prendra fin avec le Brexit.

Quatorze mois après le référendum, le troisième round de négociatio­ns entre Londres et Bruxelles vient de s’achever sans avoir débouché sur aucune avancée. Comment interpréte­z-vous ce dialogue de sourds?

Il y a quelques mois, j’avais encore un tout petit peu d’espoir, j’espérais que l’on allait pouvoir ruser et se débrouille­r pour ne pas

quitter l’UE. Trouver des moyens de rester dans les différents accords qui nous lient à nos partenaire­s. J’imaginais même qu’il pourrait y avoir un autre référendum. Mais aujourd’hui, l’état des négociatio­ns laisse penser non seulement que le Brexit aura bel et bien lieu, mais que ce sera économique­ment et spirituell­ement néfaste pour le Royaume-Uni. Cependant, ce pourrait être positif pour l’Europe : désormais, Merkel et Macron vont pouvoir travailler à forger une Europe plus unie sans avoir à se coltiner les plaintes constantes des Britanniqu­es.

Vous rappelez dans votre nouveau roman, « Une colonne de feu », que l’Angleterre du xvie siècle était déjà imbriquée dans l’histoire européenne par les alliances royales, les guerres, le commerce. Le « splendide isolement » anglais est-il donc un mythe ?

Bien sûr ! C’est même grâce au commerce avec les autres pays du continent européen que l’Angleterre a commencé à devenir un pays florissant. Au début du xvie siècle, nous n’avions pas d’industrie. Nous n’avions que des millions de moutons. Nous envoyions la laine en France et aux Pays-Bas pour qu’elle y soit transformé­e. Ce sont les protestant­s français qui se sont installés en Angleterre aux xvie et xviie siècles qui nous ont donné notre industrie textile. C’est le début de notre prospérité. Il est évident que nous devons commercer avec le reste de l’Europe. Entendre des Britanniqu­es dire que nous sommes mieux en restant seuls est aussi absurde que de les entendre dire que nous avons gagné la Seconde Guerre mondiale. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui profèrent ces bêtises. Non, ce sont les Russes qui ont battu les nazis. Et non, nous ne pouvons pas nous en sortir sans les Européens. Mais à cause de ce mythe, nous avons voté pour le Brexit, qui va nous mener au désastre.

Vous êtes très proche du Parti travaillis­te, dont votre femme est membre ; qu’avezvous pensé du peu d’entrain dont a fait preuve son leader, Jeremy Corbyn, dans la campagne contre le Brexit ?

Je ne suis pas d’accord avec lui. Ni sur le Brexit ni sur sa vision politique. Il s’accroche à des idées démodées que je défendais dans les années 1960. Il est partisan de la nationalis­ation des entreprise­s, mais on a déjà essayé et cela n’a pas marché. Il parle de « la masse contre l’élite », mais au centre gauche, personne ne veut revenir à la lutte des classes. C’est la combinaiso­n entre le capitalism­e et l’Etat-providence qui a permis à toutes les classes, même aux ouvriers, de vivre aujourd’hui mieux qu’il y a cent ans. Avec ce duel entre Jeremy Corbyn et Theresa May sur fond de Brexit, on peut dire que ce n’est pas un moment heureux de l’histoire politique britanniqu­e.

Theresa May s’est révélée douée en dramaturgi­e. Vous qui aimez faire de femmes de pouvoir et de souveraine­s des personnage­s de roman, pensez-vous qu’elle ferait une bonne héroïne ?

Elle est forte, intelligen­te, et elle est conservatr­ice mais pas à l’extrême. Mais elle est froide, elle manque de cette touche populaire qui faisait aussi défaut à Hillary Clinton. Or, pour faire un bon leader, il ne faut pas une personnali­té froide. C’est aussi vrai en littératur­e, pour faire un bon héros de roman populaire, il faut un personnage qui exprime des émotions que le lecteur peut partager.

« Roman populaire », c’est un terme qui peut être péjoratif…

Oui, je sais. Mais être un auteur populaire me convient parfaiteme­nt! J’aime ce mot, « populaire ». Mais populaire, ce n’est pas populiste. La différence, c’est le respect de la vérité. Je travaille méticuleus­ement à retranscri­re les événements, la vérité historique. Ce que vous lisez dans mon roman est exact.

Votre nouveau roman nous précipite dans le siècle des guerres de Religion. Faut-il le lire comme un combat pour la tolérance religieuse?

Oui, on peut le lire ainsi. Mes romans ont souvent pour sujet principal la lutte pour la liberté. Cette fois, il s’agit de la liberté religieuse. C’est d’ailleurs moins un livre sur la guerre entre catholique­s et protestant­s que sur le conflit qui oppose aussi à cette époque les partisans de la tolérance aux fanatiques. C’est dans ce xvie siècle déchiré par les guerres de Religion que l’on a commencé à parler de l’idée de tolérance. La liberté de culte est la première des libertés que l’on a demandées, avant la liberté d’expression et le droit de voter. A l’époque, les défenseurs de la liberté de conscience ne sont pas nombreux et ils ont du mal à se faire entendre, mais leur combat est très important. Mon héros devait forcément être dans leur camp.

Vous avez pourtant été élevé dans une famille très religieuse. Comment en êtes-vous venu à vouloir défendre la liberté de culte ?

Mes parents étaient de fervents born again Christians. Quand je lis ce que les protestant­s disaient des catholique­s au xvie siècle, cela me rappelle mes parents affirmant « nous avons raison », « les catholique­s ont tort ». Ils exécraient l’oecuménism­e. Comme les gens du xvie siècle détestaien­t le mot « tolérance ». Comme les chrétiens conservate­urs américains d’aujourd’hui abhorrent le mot « permissivi­té ». Cette détestatio­n des catholique­s m’a accompagné pendant toute mon enfance. A 14 ans, j’ai commencé à poser des questions, ce qui a provoqué de grands conflits avec mon père. Je lui demandais : « Comment peux-tu être certain que chaque mot est vrai dans la Bible? C’est une collection de vieux livres! » Mon père enrageait : « Mais c’est le verbe de Dieu! » Ce à quoi je répliquais : « En as-tu la preuve? » A 18 ans, j’en suis venu à me demander : y a-t-il un Dieu? J’ai choisi d’étudier la philosophi­e et après moins d’un an d’études, je suis devenu athée et je le suis toujours. Vous me direz que, pourtant, j’aime les églises et que j’ai consacré un roman à la constructi­on des cathédrale­s et un autre aux guerres de Religion ! J’ai cru pouvoir m’extraire de la religion mais, au fond, peut-être que je ne pourrai jamais vraiment y échapper…

Est-ce la recrudesce­nce, aujourd’hui, du fondamenta­lisme religieux qui vous a donné envie de parler de tolérance?

Je constate avec effroi qu’au xxie siècle, les djihadiste­s de l’Etat islamique ont le même objectif que les fondamenta­listes du xvie : tuer au nom de Dieu tous ceux qui ne croient pas que leur religion est la seule détentrice de la vérité. L’histoire nous a pourtant appris à quelles atrocités ce fanatisme peut mener. En cherchant à comprendre ce qui a pu pousser des hommes et des femmes à prendre part aux guerres de Religion du xvie siècle, j’espère que nous pourrons mieux saisir les événements d’aujourd’hui. Mais je ne prétends pas être un professeur qui donne des leçons aux lecteurs, je suis un écrivain qui les emmène en voyage.

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