L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU

Mais où diable est passée la pensée complexe ? On croyait pourtant révolu le temps de la politique en noir et blanc ! Las, ce qui vaut pour les autres ne vaut manifestem­ent pas pour le président. En une rodomontad­e lâchée au détour d’une visite à Athènes, le chef de l’Etat a ressuscité le clivage politique le plus binaire qui soit. Celui des bons contre les méchants, des idiots contre les intelligen­ts, et maintenant, dans sa version macronienn­e, de ceux qui réforment et agissent contre ceux qui se tournent les pouces : les cyniques de tout poil, les extrêmes de tous bords et, donc, les fainéants.

Faut-il que cette rentrée l’agace? Ou cède-t-il à l’ivresse de son pouvoir et au goût de la provocatio­n? Emmanuel Macron, qui explique en long et en large avoir étudié les travers de ses prédécesse­urs, devrait savoir qu’on ne gagne rien à opposer les Français les uns aux autres quand on est président. Nicolas Sarkozy avant lui se délectait de créer des antagonism­es à tout bout de champ, avant de se faire congédier par les électeurs après cinq ans seulement…

Cette sortie présidenti­elle est doublement inopportun­e. D’abord parce qu’elle tire le débat politique vers le bas. Comme si on avait besoin de ça… Il suffit d’allumer la radio ou d’ouvrir un journal pour s’en rendre compte. Entre les démagogues sans scrupules, prêts à instrument­aliser le premier malheur venu – hier un fait divers ou aujourd’hui un ouragan –, et les profession­nels de l’opposition systématiq­ue qui préfèrent se vautrer dans l’excès et la caricature plutôt que dans l’argument, les Français sont servis. On voit mal comment une petite phrase insultante pourrait permettre de parler du fond ou de remettre les idées et les propositio­ns au premier plan. Or, contrairem­ent à ce que semble penser le chef de l’Etat, on peut être en profond désaccord avec la feuille de route gouverneme­ntale pour des raisons politiques, sans pour autant être un indécrotta­ble paresseux ou un dangereux extrémiste.

L’autre écueil que cette vision des choses souligne, c’est une profonde incohérenc­e avec le discours qu’Emmanuel Macron entonne depuis son élection. Si la transforma­tion du pays qu’il appelle de ses voeux dépasse le stade de la déclaratio­n d’intention, s’il accomplit tout ce qu’il a promis sur le marché du travail, la formation profession­nelle, l’assurance-chômage, le logement, la fiscalité, l’école, l’université, la retraite – et on en oublie… –, il paraît normal et compréhens­ible que les Français réagissent. Non parce qu’ils détesterai­ent la réforme par principe, mais parce que, après trente ans de politiques publiques sans résultats, ils sont inquiets ou pour le moins dubitatifs. « Nous allons le faire sans brutalité, avec calme, avec explicatio­n, avec sens », avait d’ailleurs commencé à expliquer Emmanuel Macron à Athènes avant de se laisser aller à l’invective. Comme s’il souhaitait se placer au-dessus de la mêlée et « en même temps » descendre dans l’arène. Il faudra un jour qu’il choisisse.

“EMMANUEL MACRON, QUI EXPLIQUE EN LONG ET EN LARGE AVOIR ÉTUDIÉ LES TRAVERS DE SES PRÉDÉCESSE­URS, DEVRAIT SAVOIR QU’ON NE GAGNE RIEN À OPPOSER LES FRANÇAIS.”

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