L'Obs

Kamel philtre

ZABOR OU LES PSAUMES, PAR KAMEL DAOUD, ACTES SUD, 336 P., 21 EUROS.

- MARIE LEMONNIER

Il y a eu le « Meursault, contreenqu­ête », multiprimé (Goncourt du premier roman 2015), les recueils de chroniques et de nouvelles, mais le deuxième roman de l’Algérien Kamel Daoud est, en fait, le premier en origine. C’est la Mère de tous ses livres, sa Bible, son Coran, son dictionnai­re et son alphabet, sa source et sa métaphysiq­ue, son noyau dur. Toutes ses obsessions bien connues s’y trouvent, avec, en plus, l’histoire de leur révélation et de leurs prolégomèn­es. Dans ces Confession­s, Daoud, l’anti-saint Augustin, lutte contre la culpabilit­é des désirs pour libérer le corps, contre Dieu pour libérer l’homme, contre les siens pour se sauver lui-même, contre l’oubli pour sauver les siens, contre le torrent des mots qui l’assaillent pour construire ses châteaux de lettres. « Il faut écrire un grand roman à contre-courant du Livre sacré. Je rêve de ce cahier depuis que j’ai commencé à maîtriser cette langue sensuelle », dit Zabor, le personnage du roman qui porte le nom arabe du livre des psaumes cité dans le Coran et révélé par Allah au prophète-roi David (Daoud en arabe). Kamel Daoud écrit ce livre depuis toujours. La trame est donc d’une prétention folle, assumée : orphelin de mère, abandonné par son père, Zabor a le don de retarder la mort des gens de son village par la seule grâce des récits qu’il rédige, en français. Conte philosophi­que, autobiogra­phie, ode à l’imaginaire, « Zabor » est aussi un jeu de piste : Daoud-Petit Poucet y a semé les titres des ouvrages qui l’habitent comme autant de petits cailloux blancs. Car, pour Daoud, le monde est un livre, tous les livres, écrits ou à écrire. Et sa langue est une forêt de métaphores. Dense, touffue, sensuelle. Né d’un orgasme sexuel, son lien aux mots est érotique. L’écrivain aime enchâsser plusieurs idées dans une phrase, utiliser un lexique hors de son champ, enchaîner les digression­s, créer l’impression d’une bombe à déflagrati­on multiple à chaque syntagme. Certains lecteurs pourront être sonnés par cette transe fiévreuse. Les autres, nous en sommes, se délecteron­t de découvrir ici du pur extrait de Daoud, une concrète de ce style unique et riche, un condensé de lui.

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