L'Obs

Aronofsky’s baby

MOTHER !, PAR DARREN ARONOFSKY. FILM FANTASTIQU­E AMÉRICAIN, AVEC JENNIFER LAWRENCE, JAVIER BARDEM, MICHELLE PFEIFFER, ED HARRIS (1H55).

- FRANÇOIS FORESTIER

Est-ce la première fable de l’ère Trump ? Une envolée gothique sur le thème du leader narcissiqu­e, qui mène tout droit à l’apocalypse nucléaire? Darren Aronofsky voit plus loin : c’est de la destinée humaine qu’il s’agit, des fins dernières, de vous et de moi. Bref, nous voici sur le terrain favori de ce cinéaste halluciné, qui nous donne sa version personnell­e de la venue du messie, le gore en bonus. Et c’est bien, ce film ? Oui, une moitié. Et la seconde moitié ? Moins bien. Je résume : au début, un couple solitaire retape une maison isolée. « Il » (les personnage­s ne sont jamais nommés) est un écrivain en panne (de stylo et de sexe). « Elle » a vingt ans de moins, et ravale la baraque, qui semble vaguement hantée. Soudain, la demeure est envahie par des étrangers, qui s’invitent, picolent, ouvrent les portes et défont les lits. Angoisse, peur, mauvaises manières, un meurtre. Fin du premier round, magistral, inquiétant, névrotique, chair de poule tendance « Répulsion ». Une accalmie. Puis arrive la deuxième vague de visiteurs, des hordes de fans de l’écrivain qui, enfin, pond un chefd’oeuvre : dans leur délire, les bigots ravagent tout, attendent la venue du bébé de « Elle », comme dans « Rosemary’s Baby ». Et là, je vous raconte pas : on est entre la zombie party et le cauchemar psychédéli­que, avec méga-explosion ultime. Tout y passe : le christiani­sme est une religion cannibale, la roue du destin védique recycle la vie, Dieu est absent, l’existence est un reboot perpétuel et le gâteau au chocolat dans la cuisine est salopé. C’est du Aronofsky dans son jus : emphatique, inspiré, malin, panachant les emprunts à Polanski et les références bibliques. Chez lui – il n’en démord pas –, la création mène toujours à la folie : de « Pi » (1998) à « Black Swan » (2011) en passant par « Requiem for a Dream » (2000) et « The Fountain » (2006), c’est le même cheminemen­t (excepté « Noé », 2014, nanar confirmé), traversé d’éclairs virtuoses et de shrapnels grandiloqu­ents. Ici, Jennifer Lawrence (« Hunger Games ») joue la mother du titre, face à Javier Bardem. Elle est la super-mater dolorosa : terrifiée, frappée, concassée, lynchée, brûlée, et – oui ! – éviscérée. Film d’horreur d’auteur ou fromage de tête existentie­l ? On aime ou pas : à chacun sa moitié d’orange. Allez-y voir, en tout cas, ça mérite le détour.

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Jennifer Lawrence.

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