Climat Al Gore : « Contre le réchauffement, nous gagnerons »
Dix ans après son premier documentaire, l’ex-viceprésident américain Al Gore sort “Une suite qui dérange” et continue d’alerter le monde
Le documentaire « Une vérité qui dérange » vous a valu deux oscars et un prix Nobel de la paix. Une décennie plus tard, vous êtes toujours là, à alerter le monde sur l’« urgence » du réchauffement climatique. Ce n’est pas un peu décourageant ?
C’est vrai qu’en 2006, si l’on m’avait demandé de me figurer les dix années à venir, j’aurais estimé que les progrès accomplis seraient plus importants. Mais je suis convaincu par les propos de l’économiste Rudiger Dornbusch : « Les choses mettent toujours plus de temps à arriver que vous ne le pensiez. Mais quand elles arrivent, c’est d’une manière plus fulgurante que vous n’auriez pu l’imaginer. » Regardez la courbe de développement des panneaux solaires photovoltaïques, pour ne parler que d’elle : elle a stagné pendant très longtemps. Il y a dix ans, elle a commencé à marquer une légère inflexion, et aujourd’hui, elles décollent d’une manière extraordinaire ! Demain, c’est le marché des batteries pour stocker l’électricité produite par ces énergies renouvelables qui prendra la même direction.
Vous avez donc fait le plus dur ?
Oui, le boulot le plus difficile est derrière nous ! Ne vous y trompez pas : nous nous trouvons aux premiers jours d’une révolution de grande ampleur. Elle aura la magnitude de la révolution industrielle et la vitesse de la révolution numérique. Aujourd’hui, les entreprises, les industries connaissent cette image : celle d’un train qui s’élance hors de la gare. Vont-elles grimper dedans ou rester à quai ? Beaucoup comprennent qu’elles ont évidemment tout intérêt à être dans le train, parce que les opportunités de business sont énormes.
Tout de même, dans « Une suite qui dérange », vous semblez parfois un peu las de cette interminable bataille pour convaincre l’opinion. Entre nous, depuis tout ce temps, vous n’avez jamais été tenté d’envoyer tout bouler ?
Honnêtement, non, jamais. Les enjeux sont trop importants et je me dis que le désespoir est une autre forme du déni. On n’a pas le temps pour ça. Et puis, surtout, à la fin, c’est nous qui allons gagner ! Comme l’a dit Nelson Mandela : « C’est toujours impossible à réaliser jusqu’à ce que ce soit réalisé. »
Qu’est-ce que ça fait d’être comparé, sur les réseaux sociaux, à Jon Snow, le héros de « Games of Thrones », chargé de la mission écrasante d’annoncer au monde une invasion terrible à laquelle personne, au départ, ne croit ?
Euh... dans cette série, les héros finissent souvent trucidés, alors j’aimerais assez connaître la fin du scénario avant d’accepter la comparaison ! [Rires]
Aux Etats-Unis, il existe encore beaucoup de personnalités médiatiques, généralement rémunérées par les lobbys industriels, pour dire que la crise climatique est une intox. Comment est-ce possible ?
C’est la nature humaine, que voulez-vous. Les rares qui soient sincères font partie de ces gens qui, une fois qu’ils ont adopté une croyance, la défendront coûte que coûte, même au mépris des réalités. Mais soyons clair : la plupart de ceux qui parlent savent très bien qu’ils profèrent des mensonges. J’ai croisé récemment un certain Jerry Taylor qui, pendant vingt ans, a travaillé au Cato Institute, un think tank ultraconservateur. Cet homme a oeuvré à nier le réchauffement climatique en répandant de fausses informations. Finalement, il a changé d’avis – je l’ai convaincu, apparem-
ment – et m’a fait des confidences. Il m’a dit connaître au moins dix sénateurs républicains qui, dans le privé, vivent des tiraillements épouvantables. Ils ont nié le réchauffement, dit n’importe quoi pendant des années, et ne savent pas comment avouer publiquement qu’ils ont changé de position.
Quel est votre état d’esprit vis-à-vis de Donald Trump ? Etes-vous navré, en colère, ou bien attendez-vous que ça se termine, comme on le fait d’une mauvaise maladie ?
J’essaie de me dire qu’il existe une loi physique qui s’applique parfois à la politique : pour toute action, il y a une réaction d’égale importance. La réaction à Trump, aux Etats-Unis comme partout dans le monde, signifie que les citoyens se mettent à porter une attention accrue à tout ce que lui rejette, et notamment aux préoccupations écologiques. Par ailleurs, les Américains voient bien que les épisodes climatiques extrêmes se multiplient ces derniers temps. Même ceux qui ont pu être séduits par ses raccourcis démagogiques comprennent de plus en plus que quelque chose a changé. Que tout ce qui arrive n’est pas normal, que le lien avec la crise climatique que nous subissons crève les yeux.
En parlant de conservateur, « Une vérité qui dérange » met en scène votre rencontre avec Dale Ross, un petit homme qui l’est énormément…
Dale Ross est effectivement le maire de Georgetown, souvent décrite comme la ville la plus conservatrice du Texas – un Etat qui l’est déjà profondément. Pourtant, nous montrons que Ross a fait passer ses 47 000 administrés à l’électricité 100% renouvelable en seulement quelques années. Pourquoi ? Parce qu’il est bon en arithmétique ! Il a eu l’idée de passer ses comptes municipaux au peigne fin et il a compris qu’il pouvait économiser des milliers de dollars chaque année grâce aux énergies renouvelables. Ces énergies ne polluent pas l’air et sauveront peutêtre l’humanité, mais pour lui, c’est juste une conséquence inattendue de son souhait de réaliser des économies [Rires]. Au-delà de ce cas, nous voulions montrer qu’il n’est pas besoin d’être un idéologue pour changer le modèle : il suffit d’être rationnel. Je suis sûr que Voltaire aurait la solution contre le réchauffement climatique !
Il y a dans le documentaire un moment un peu dérangeant : vous êtes à Paris au moment des attentats du Bataclan et l’on vous voit, naturellement très ému. Sauf qu’il n’y a pas de lien objectif entre le djihadisme et le réchauffement climatique. Pourquoi avoir gardé ce moment un peu hors sujet ? Pour nous tirer des larmes ?
Non. Je l’ai gardé parce que je crois que l’émotion énorme provoquée par cette tragédie a joué un rôle essentiel dans la réussite de la COP21 [la Conférence internationale sur le climat qui s’est tenue à Paris en 2015, NDLR]. Laquelle, je vous le rappelle, s’est déroulée deux semaines plus tard. Une gravité nouvelle avait frappé les chefs d’Etat venus à Paris. On l’entend dans trois quarts des discours qui ont été prononcés : ils témoignent de leur solidarité et expriment leur admiration envers les équipes françaises qui, emmenées par François Hollande, n’ont pas annulé cette Conférence, et, au contraire, maintenu les ambitions initiales. Rappelez-vous que certains se sont demandé s’il ne fallait pas tout abandonner à cause des attentats. Mais le cap a été maintenu. J’aimerais d’ailleurs tirer mon chapeau au président Hollande. Je ne crois pas que vous, les Français, réalisez combien il a travaillé pour le succès de cette Conférence. Dans ma vie, j’ai participé à un sacré nombre de COP, je peux vous dire que je n’en ai jamais vu d’aussi remarquablement pensée et organisée qu’à Paris.