L'Obs

Climat Al Gore : « Contre le réchauffem­ent, nous gagnerons »

Dix ans après son premier documentai­re, l’ex-viceprésid­ent américain Al Gore sort “Une suite qui dérange” et continue d’alerter le monde

- « Une suite qui dérange. Le temps de l’action », de Bonni Cohen et Jon Shenk (1h40), en salles le 27 septembre.

Le documentai­re « Une vérité qui dérange » vous a valu deux oscars et un prix Nobel de la paix. Une décennie plus tard, vous êtes toujours là, à alerter le monde sur l’« urgence » du réchauffem­ent climatique. Ce n’est pas un peu découragea­nt ?

C’est vrai qu’en 2006, si l’on m’avait demandé de me figurer les dix années à venir, j’aurais estimé que les progrès accomplis seraient plus importants. Mais je suis convaincu par les propos de l’économiste Rudiger Dornbusch : « Les choses mettent toujours plus de temps à arriver que vous ne le pensiez. Mais quand elles arrivent, c’est d’une manière plus fulgurante que vous n’auriez pu l’imaginer. » Regardez la courbe de développem­ent des panneaux solaires photovolta­ïques, pour ne parler que d’elle : elle a stagné pendant très longtemps. Il y a dix ans, elle a commencé à marquer une légère inflexion, et aujourd’hui, elles décollent d’une manière extraordin­aire ! Demain, c’est le marché des batteries pour stocker l’électricit­é produite par ces énergies renouvelab­les qui prendra la même direction.

Vous avez donc fait le plus dur ?

Oui, le boulot le plus difficile est derrière nous ! Ne vous y trompez pas : nous nous trouvons aux premiers jours d’une révolution de grande ampleur. Elle aura la magnitude de la révolution industriel­le et la vitesse de la révolution numérique. Aujourd’hui, les entreprise­s, les industries connaissen­t cette image : celle d’un train qui s’élance hors de la gare. Vont-elles grimper dedans ou rester à quai ? Beaucoup comprennen­t qu’elles ont évidemment tout intérêt à être dans le train, parce que les opportunit­és de business sont énormes.

Tout de même, dans « Une suite qui dérange », vous semblez parfois un peu las de cette interminab­le bataille pour convaincre l’opinion. Entre nous, depuis tout ce temps, vous n’avez jamais été tenté d’envoyer tout bouler ?

Honnêtemen­t, non, jamais. Les enjeux sont trop importants et je me dis que le désespoir est une autre forme du déni. On n’a pas le temps pour ça. Et puis, surtout, à la fin, c’est nous qui allons gagner ! Comme l’a dit Nelson Mandela : « C’est toujours impossible à réaliser jusqu’à ce que ce soit réalisé. »

Qu’est-ce que ça fait d’être comparé, sur les réseaux sociaux, à Jon Snow, le héros de « Games of Thrones », chargé de la mission écrasante d’annoncer au monde une invasion terrible à laquelle personne, au départ, ne croit ?

Euh... dans cette série, les héros finissent souvent trucidés, alors j’aimerais assez connaître la fin du scénario avant d’accepter la comparaiso­n ! [Rires]

Aux Etats-Unis, il existe encore beaucoup de personnali­tés médiatique­s, généraleme­nt rémunérées par les lobbys industriel­s, pour dire que la crise climatique est une intox. Comment est-ce possible ?

C’est la nature humaine, que voulez-vous. Les rares qui soient sincères font partie de ces gens qui, une fois qu’ils ont adopté une croyance, la défendront coûte que coûte, même au mépris des réalités. Mais soyons clair : la plupart de ceux qui parlent savent très bien qu’ils profèrent des mensonges. J’ai croisé récemment un certain Jerry Taylor qui, pendant vingt ans, a travaillé au Cato Institute, un think tank ultraconse­rvateur. Cet homme a oeuvré à nier le réchauffem­ent climatique en répandant de fausses informatio­ns. Finalement, il a changé d’avis – je l’ai convaincu, apparem-

ment – et m’a fait des confidence­s. Il m’a dit connaître au moins dix sénateurs républicai­ns qui, dans le privé, vivent des tirailleme­nts épouvantab­les. Ils ont nié le réchauffem­ent, dit n’importe quoi pendant des années, et ne savent pas comment avouer publiqueme­nt qu’ils ont changé de position.

Quel est votre état d’esprit vis-à-vis de Donald Trump ? Etes-vous navré, en colère, ou bien attendez-vous que ça se termine, comme on le fait d’une mauvaise maladie ?

J’essaie de me dire qu’il existe une loi physique qui s’applique parfois à la politique : pour toute action, il y a une réaction d’égale importance. La réaction à Trump, aux Etats-Unis comme partout dans le monde, signifie que les citoyens se mettent à porter une attention accrue à tout ce que lui rejette, et notamment aux préoccupat­ions écologique­s. Par ailleurs, les Américains voient bien que les épisodes climatique­s extrêmes se multiplien­t ces derniers temps. Même ceux qui ont pu être séduits par ses raccourcis démagogiqu­es comprennen­t de plus en plus que quelque chose a changé. Que tout ce qui arrive n’est pas normal, que le lien avec la crise climatique que nous subissons crève les yeux.

En parlant de conservate­ur, « Une vérité qui dérange » met en scène votre rencontre avec Dale Ross, un petit homme qui l’est énormément…

Dale Ross est effectivem­ent le maire de Georgetown, souvent décrite comme la ville la plus conservatr­ice du Texas – un Etat qui l’est déjà profondéme­nt. Pourtant, nous montrons que Ross a fait passer ses 47 000 administré­s à l’électricit­é 100% renouvelab­le en seulement quelques années. Pourquoi ? Parce qu’il est bon en arithmétiq­ue ! Il a eu l’idée de passer ses comptes municipaux au peigne fin et il a compris qu’il pouvait économiser des milliers de dollars chaque année grâce aux énergies renouvelab­les. Ces énergies ne polluent pas l’air et sauveront peutêtre l’humanité, mais pour lui, c’est juste une conséquenc­e inattendue de son souhait de réaliser des économies [Rires]. Au-delà de ce cas, nous voulions montrer qu’il n’est pas besoin d’être un idéologue pour changer le modèle : il suffit d’être rationnel. Je suis sûr que Voltaire aurait la solution contre le réchauffem­ent climatique !

Il y a dans le documentai­re un moment un peu dérangeant : vous êtes à Paris au moment des attentats du Bataclan et l’on vous voit, naturellem­ent très ému. Sauf qu’il n’y a pas de lien objectif entre le djihadisme et le réchauffem­ent climatique. Pourquoi avoir gardé ce moment un peu hors sujet ? Pour nous tirer des larmes ?

Non. Je l’ai gardé parce que je crois que l’émotion énorme provoquée par cette tragédie a joué un rôle essentiel dans la réussite de la COP21 [la Conférence internatio­nale sur le climat qui s’est tenue à Paris en 2015, NDLR]. Laquelle, je vous le rappelle, s’est déroulée deux semaines plus tard. Une gravité nouvelle avait frappé les chefs d’Etat venus à Paris. On l’entend dans trois quarts des discours qui ont été prononcés : ils témoignent de leur solidarité et expriment leur admiration envers les équipes françaises qui, emmenées par François Hollande, n’ont pas annulé cette Conférence, et, au contraire, maintenu les ambitions initiales. Rappelez-vous que certains se sont demandé s’il ne fallait pas tout abandonner à cause des attentats. Mais le cap a été maintenu. J’aimerais d’ailleurs tirer mon chapeau au président Hollande. Je ne crois pas que vous, les Français, réalisez combien il a travaillé pour le succès de cette Conférence. Dans ma vie, j’ai participé à un sacré nombre de COP, je peux vous dire que je n’en ai jamais vu d’aussi remarquabl­ement pensée et organisée qu’à Paris.

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