LA RUE A T ELLE TOUJOURS RAISON ?
L’avenir de la gauche passe-t-il forcément par la contestation? Voyage dans La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Et analyse d’une stratégie de l’affrontement par l’historienne Danielle Tartakowsky et les philosophes Michaël Foessel et Marcel Gauchet
Ils sont quatre, lycéens et « puceaux » en politique. C’est leur jour de veine. Ils sont venus en ce début septembre chercher des tracts, rue de Dunkerque à Paris, au siège de La France insoumise (LFI), en vue de la manifestation du 23 contre « le coup d’Etat social de Macron », et voilà qu’ils se retrouvent nez à nez avec leur star, JeanLuc Mélenchon. Tout à son tumulte intérieur, le Líder maximo a jaugé d’un oeil la fréquentation de l’atelier fabrication de pancartes, puis s’est arrêté sur leurs visages neufs. Il aime la jeunesse qui le rejoint, l’enrôler avec son verbe, former ces esprits avides d’idéal, les aguerrir. Et la jeunesse le lui rend bien. Avant de s’adresser aux quatre militants en herbe, il s’assure d’abord que « les ennemis du peuple » (les médias) ne sont pas dans la maison.
Convié par un e-mail de La France insoumise aux rédactions invitant les journalistes à assister aux préparatifs de la journée du 23, un « ennemi », « l’Obs », est là, à l’heure de sa visite impromptue. C’est pour nous une étape dans le voyage au coeur de La France insoumise que nous avons entamé, l’enquête que nous menons auprès d’anonymes qui ont rallié sa bannière, rejoint les « groupes d’appui » locaux de LFI, et auprès des plus proches collaborateurs de Mélenchon. Avec, en bandoulière, ces questions : qui sont les « insoumis »? Qu’est-ce qui les réunit ? Marchent-ils d’un même pas, adeptes d’un nouveau césarisme? Ou, plus divers, esquissent-ils une contre-société? Des sept millions de voix qui se sont portées sur lui au premier tour de la présidentielle, des 560 000 adhérents revendiqués (sans cotisation) de LFI, combien suivront Mélenchon, l’opposant numéro un qui proclame, aujourd’hui, « mon objectif, c’est la conquête du pouvoir national » ?
Pour l’heure, rue de Dunkerque, les quatre minots reçoivent leur première leçon de militantisme. Par Mélenchon himself. « Alors toi, qu’est-ce que tu veux faire? s’enquiert-il auprès de l’un, ingénieur ? C’est bien, ça! On a besoin d’ingénieurs, de cadres… Vous devez vous éduquer, lire des livres, un cadre éduqué aura la bonne réaction… Sur l’Amérique latine, tout le monde nous est tombé dessus, mais s’il y a des di cultés là-bas c’est parce qu’ils n’ont pas de cadres! » D’éducateur, il devient, face à l’autre, meneur de troupes. « Quand on va diriger le pays, vous serez les capitaines. Il faut que les capitaines foutent dehors les colonels! » En d’autres temps, dans une atmosphère enfumée, un audacieux, peutêtre, aurait engagé l’échange sur la révolution, les colonels ou le Venezuela… Mais la République bolivarienne est loin…
Rue de Dunkerque, promus soldats de La France insoumise, les lycéens écoutent, répondent par bribes, tenaillés par un but ultime, le selfie qu’ils arracheront in fine à leur héros. « Dans les lycées, la température, elle est comment? Dans ta classe, ça réfléchit? Dis-toi bien que tu as une tâche importante. Y a pas besoin d’être des hordes. A deux ou trois, vous faites un groupe Facebook et vous faites circuler des contenus. Notre stratégie révolutionnaire repose sur les prises d’initiative des
gens », termine Mélenchon avant d’ajouter en riant : « Le jour où tu déprimes, t’as qu’à penser à moi ! »
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE CHEF
Officiellement, le mouvement LFI (lancé en février 2016) récuse le culte du chef. A ceux qu’il appelle « les gens », Mélenchon interdit de crier son nom en meeting et fixe un autre mot d’ordre que la foule reprend, le poing levé : « Résistance, résistance! » Mais « les insoumis », c’est d’abord lui. A commencer par ce mot qu’il a choisi. « Il a eu cette idée, un soir, en rangeant sa cuisine », confie un proche. « Il avait griffonné une dizaine de slogans sur un papier. Au départ on était sur “la France insoumise, le peuple souverain” », raconte Manuel Bompard, son stratège et son organisateur. « Les insoumis », ça porte tout à la fois la colère et l’idée du rassemblement qu’il veut. Mélenchon a une fascination pour les mots, depuis toujours. « Le mot, dit Bompard, fait obus. » Il borne aussi le récit épique de la « révolution citoyenne » que Mélenchon veut écrire.
Seule une poignée contribue à l’exercice des mots avec lui. Le « coup d’Etat social » ? C’est Bompard, trentenaire et docteur en maths, qui l’a trouvé. Passé par l’éphémère association mélenchonienne « Pour la République sociale », puis au Parti de Gauche à sa création en 2008, il est devenu un intime. Il a « prouvé qu’il était capable d’assurer la conduite ordonnée de la masse immense », dit de lui Mélenchon. Ce Toulousain travaille pour une start-up dans l’aéronautique et loge chez des copains à Paris pour la réunion politique du lundi autour de « JLM ». Alexis Corbière, 49 ans, porte-parole et, depuis juin dernier, député de Montreuil, fréquente « Jean-Luc » depuis plus longtemps encore. Etudiant, il a traîné ses guêtres à l’OCI, l’école des rudes lambertistes que connaît bien Mélenchon pour y avoir fait ses armes du côté de Besançon sous le blase de « Santerre ». Puis il a glissé vers la gauche du PS en un temps où Dray et Mélenchon étaient encore amis.
Dans cet univers où vie personnelle et militante ne font qu’un, Corbière a rencontré la mère de ses trois filles, Raquel Garrido. Il vient de Béziers, elle du Chili et de SOS-Racisme, ils suivront « Méluche » pour fonder le Parti de Gauche. Comme s’y trouveront Charlotte Girard, universitaire spécialiste de droit public qui a porté le programme du candidat pour 2017, et François Delapierre, le fils spirituel de Mélenchon, son partenaire de joute théorique, qui n’était pas au rendez-vous cette année. Emporté deux ans plus tôt par un cancer du cerveau. Dans son portable, Mélenchon conserve toujours le numéro de François.
« La direction, c’est un truc familial. Tu ne peux pas pénétrer un machin comme ça, explique un rallié récent à LFI, Mélenchon ne veut pas s’emmerder… C’est la tradition lambertiste : Pierre Lambert [ancien dirigeant de l’OCI, NDLR] était pareil, il fonctionnait avec un petit groupe autour de lui. » Ils sont la famille et l’avant-garde. Des moines-soldats rompus à la discipline, à l’organisation. Leur mimétisme vient de leur longue fréquentation. Ils ont tutoyé les classiques, Marx, Trotski, Robespierre, grandi avec d’autres livres, les leurs et ceux dont Mélenchon aime à les nourrir. Ils ont coutume de répéter, comme lui : « Nous avons réglé les problèmes d’ego, nous avons réglé le problème du programme, de la stratégie, nous ne voulons pas fédérer des étiquettes, nous voulons fédérer le peuple. » Avec « Jean-Luc », ce noyau communique dans un groupe très
restreint via Telegram, la messagerie hautement cryptée dont les messages peuvent s’autodétruire si vous le décidez.
Mélenchon, 66 ans, n’est pas le dernier à avoir adopté Telegram. Il a senti très tôt le champ infini d’internet et l’intérêt de ses applications. Lui, l’ancien apparatchik rompu pendant des décennies aux manoeuvres de congrès et d’appareils au sein du PS, lui qui, en 2012 encore, croyait aux cartels de partis, a opéré une « révision radicale de [sa] vision du combat politique ». Il l’a racontée dans le magazine « Society » : « A notre époque, les réseaux sociaux sont l’endroit essentiel où le peuple se déploie… Il y a 32 millions de comptes Facebook en France. Ne cherchez pas une plus grande agora, il n’y en a pas. […] On fait des vidéos, on parle aux gens, on contourne le système médiatique comme ça. Et comme le réseau est un être vivant, il se manifeste aussi de manière autonome. Notre action a déclenché plein d’initiatives personnelles que l’on ne contrôlait pas du tout. »
Sur YouTube, sa chaîne est devenue une arme de propagande massive. A l’opposé des codes du web, assis dans un canapé, il décrypte l’actualité sur un ton professoral. « L’instituteur du peuple », comme dit un de ses proches, cartonne : en un an, sa « Revue de la semaine » a vu son nombre d’abonnés grimper de 20000 à 370000. Derrière ce succès, la patte d’un community manager de 28 ans, Antoine Léaument, lunettes rondes et tête de premier de la classe, qui gère notamment la page Facebook de « JLM » (la troisième en nombre d’abonnés après Macron et Le Pen). C’est aussi lui qui diffuse sur les réseaux sociaux les coups d’éclat savamment orchestrés des dix-sept députés « insoumis » à l’Assemblée nationale, comme les paquets de pâtes sortis sur leurs pupitres dans l’Hémicycle pour dénoncer la baisse des APL décidée par Emmanuel Macron.
GÉNÉRATION NUMÉRIQUE
« Je me suis inscrit sur la plateforme JLM 2017, c’est né d’une frustration : je n’ai pas l’âge de voter, raconte Gabriel, qui fait sa rentrée cet automne en 1re. Ce qui me plaisait dans le programme, c’était le vote à 16 ans et l’allocation d’autonomie de 800 euros pour les jeunes. » Et Mélenchon ? « J’admire l’orateur mais, surtout, il a su s’entourer de jeunes. » Après son inscription, la plateforme l’a incité à aller au « groupe d’appui » de Noisyle-Sec, où il habite. « Je dirais qu’on était 80 inscrits, dont 30 actifs. En cette rentrée? Je ne sais pas encore, on reprend tout juste nos réunions. » A LFI, qui revendiquait 5000 cellules locales avant l’été, un pointage est en cours pour savoir où en sont les troupes.
Les parents de Gabriel ne sont pas engagés; sa mère, fonctionnaire territoriale, était pour Hollande, tandis que son père, professeur de conservatoire, penchait pour Mélenchon. « Moi, j’ai peur de me retrouver jeune précaire, j’ai peur d’un monde qui ne se préoccupe pas d’écologie. Le 2 août, vous avez entendu parler du jour du dépassement ? » [Jour à partir duquel l’humanité a consommé toutes les ressources naturelles que la Terre produit en une année.] De sa fenêtre sur le 93, le lycéen constate : « Ce que les gens des quartiers populaires perçoivent, ce sont les cris du coeur. Ils sont indignés, comme lui. » Gabriel s’est politisé par le numérique. D’autres, un peu plus âgés et geeks, se sont forgé une conscience politique dans les batailles contre Hadopi ou la loi Loppsi (sur la sécurité intérieure). « C’est une super force pour nous », dit-on à La France insoumise. Certains agissent un peu à la manière des Anonymous, comme Discord (voir ci-contre).
C’est du Cambodge, où il opérait comme logisticien pour l’Unicef, que Sébastien s’est inscrit par internet, fin 2016, à un premier groupe d’appui. De retour en France, il a rejoint une autre cellule à Romans. « Un éducateur avait été à l’initiative du groupe, dans lequel il y avait de tout, des enseignants, un chercheur, des petits patrons, un cadre dans le commerce. » Là, comme il vient de déménager, il a pris contact à Montpellier. Sébastien est un supporter du Parti de Gauche. « La France insoumise, c’est une toile d’araignée, on attrape l’information, on trouve des réponses dans les propos de Mélenchon, repris ou bien par la presse ou bien sur son blog. » Et tant pis s’il y a finalement assez peu d’interactions possibles sur la plateforme. En gros, explique-t-il, « le mot d’ordre national, c’est l’action ». Ensuite, les goupes s’auto-organisent « pour soutenir, par exemple, une famille qui fait l’objet d’une mesure d’expulsion ou aller parler sur site avec des salariés dont l’emploi est menacé. On est assez autonome ».
On n’est pas chez les libertaires, non plus. L’auto-organisation a sa coordinatrice et sa Bible. Leïla Chaibi, trentenaire, ancienne du NPA et de Nuit debout, expliquait ainsi lors des universités d’été du mouvement à Marseille la méthode Alinsky. Du nom du sociologue de Chicago Saul Alinsky, disparu au tournant des années 1970,
devenu le maître à penser de la gauche radicale américaine. La méthode explique comment remobiliser les gens dans les quartiers populaires en les poussant à agir contre le motif de leur colère (cage d’escalier sans lumière, voirie sale…). Les militants de La France insoumise intervenant comme facilitateurs pour organiser les luttes. Ce n’est pas encore gagné. « Un de nos enjeux, reconnaît Leïla Chaibi, c’est de toucher les gens issus des catégories populaires. » Le discours de La France insoumise, très pensé, truffé de références, bref très intellectuel, peut être un frein autant qu’il est une arme de séduction. « Je ne comprends pas tout ce que dit Mélenchon, mais il pousse à réfléchir, confesse une jeune électrice, et puis je trouve qu’il a raison d’inciter à la révolte avec tout ce qu’on nous cache, avec cette différence insupportable entre les riches et les pauvres. »
L’OBSESSION MÉDIATIQUE
La France insoumise veut reprendre les codes populaires pour les retourner à son avantage, à l’instar de Podemos en Espagne. La télévision est le champ de bataille de cette offensive idéologique et culturelle. Chaque fois qu’il en a l’occasion, Jean-Luc Mélenchon tombe à bras raccourcis sur « les médiacrates » et cet ennemi qu’il appelle « le parti médiatique », dont il dénonce la toute-puissance et la concentration entre les mains de grands groupes, et qui lui serait, systématiquement, hostile. « Comme vous le savez, on ne peut ni discuter, ni contredire, ni avoir de droit de réponse », écrit-il, avec une parfaite mauvaise foi, sur son blog. Obsession aussi bien personnelle que politique. Tout au long de sa carrière politique, « Méluche » a eu le sentiment de ne pas se voir reconnu à sa juste valeur par les médias. Emporté, il peut aller jusqu’à désigner ad hominem les journalistes qui le dérangent. Mais cette charge a, surtout, une visée politique. C’est lui-même qui l’expose sur son blog : « Il existe un bon usage pour nous de la boue médiatique. C’est de la mettre sous les yeux de nos amis en la dénonçant, de la mettre en scène de manière humoristique sur les réseaux sociaux, de la commenter sur les sites concernés. Le choc avec le parti médiatique est une école de formation pour construire des consciences émancipées. » Ce qui n’empêche pas Raquel Garrido de participer, comme chroniqueuse, aux « Terriens du dimanche », la nouvelle émission de Thierry Ardisson, sur C8, une chaîne appartenant à Vincent Bolloré. « Je fais l’insoumise, réplique la volcanique en riant, je suis moi-même un émetteur politique. »
Désormais, Mélenchon voit plus grand : son équipe prépare le lancement de son propre média – une télé en ligne –, en début d’année prochaine. Ce ne sera pas une TV Mélenchon, comme Chávez avait la sienne. Mais un « contre-média », présenté comme indépendant, pour élargir l’audience de ses idées et réfuter la critique de la personnalisation. Et pas que… « On sait que des gens sont rebutés par la personnalité de Jean-Luc Mélenchon, alors on veut ouvrir les vannes, faire un média le plus ouvert possible », souffle sous le sceau du secret un cadre de LFI. La directrice de communication, Sophia Chikirou, trentenaire, ancienne du PS, qui est allée étudier la campagne de Sanders aux Etats-Unis et les réalisations de Podemos en Espagne, coiffe le projet. « On pourrait avoir un financement sous forme de mécénat, avec la participation d’associations et d’ONG », raconte un membre de l’équipe. Le projet n’a pas encore de studio mais déjà un générique. Des entretiens ont lieu pour réunir « une équipe de pros ». Le psychanalyste et chroniqueur Gérard Miller, proche de Mélenchon, sera de l’aventure. La journaliste Natacha Polony, selon le même interlocuteur, pourrait « venir greffer son média, Polony TV, sur le projet ».
MORT AUX DÉVIANTS
Quand les « insoumis » de Corse s’aventurent, en vue des élections territoriales, à s’allier aux communistes, dont le député de Marseille ne veut plus entendre parler, ils se prennent une châtaigne : un tweet lapidaire de Mélenchon qui « condamne cette tambouille ». Les insulaires ont été convoqués à Paris pour s’en expliquer… « Comme En Marche !, c’est un mouvement articulé autour d’un leader. C’est un truc vertical entre le dirigeant et ses conseillers, et une base dont il est clair qu’elle n’est pas associée aux choix stratégiques, estime David Cormand, le patron d’EELV. C’est quoi, l’organigramme de La France insoumise? Quand est-ce qu’ils organisent des votes? » Le dernier remonte à l’entre-deux-tours : sur internet, la majorité des 243 000 sympathisants qui se sont prononcés ont préféré l’abstention ou le vote blanc au vote Macron au second tour.
Pour avoir exprimé, en dessins, son inquiétude quant au silence du candidat à la présidentielle sur les exactions de Bachar al-Assad en Syrie, ou pour avoir ironisé sur le culte de la personnalité du Líder maximo, Joann Sfar s’est pris une rafale nauséabonde sur les réseaux sociaux. En avril dernier, le dessinateur racontait, dans une tribune au « Monde », avoir subi « un harcèlement » et « une campagne de calomnies pour expliquer qu’[il a] toujours été un ennemi du camp de Mélenchon, ce qui est faux ». Du côté de La France insoumise, personne ne s’est désolidarisé de ces attaques. Joann Sfar en a conclu qu’« un parti qui autorise à cette échelle ce type de comportements risque d’avoir un exercice du pouvoir inquiétant ».
La députée macroniste Aurore Bergé relate la même expérience : « Sur les réseaux sociaux, c’est une meute! Je n’ai jamais bloqué autant de gens, ils sont d’une violence inouïe, plus agressifs que le FN. Dès que tu oses dire quelque chose de négatif sur Mélenchon, tu es le diable incarné. Ils montent au créneau ensemble, et très vite, sur des aspects personnels. » La réponse, côté « insoumis », laisse perplexe : « Ça ne vient pas de chez nous », « il y a toujours des dégâts collatéraux ». A la guerre comme à la guerre. Camp contre camp !
UN PARTI OU UN MOUVEMENT?
Comment transformer l’élan de la présidentielle en mouvement pérenne ? C’est la question du moment dans la tête des « insoumis ». La convention qui devait la trancher a été reportée à décembre,
priorité a été donnée à l’offensive du 23 contre Macron et son nouveau Code du Travail. Dans les groupes d’appui, c’est peu dire que cela fait débat. Dimanche 10 septembre, dans une ancienne église réaménagée du centre-ville de Toulouse, les esprits s’agitent. « On a investi de notre poche pendant la campagne. On a fait de bons résultats électoraux, quand va-t-on recevoir le financement public ? » demande une jeune fille. A ses côtés, pour signifier qu’elle approuve, une autre agite les mains en l’air, à la manière des militants de Nuit debout. Une retraitée intervient : « Il nous faut un affichage, ça passe par un local, non? » Assis au milieu de la centaine de présents, « Manu » Bompard est venu expliquer que, pour ne pas ressembler à un parti traditionnel, le mouvement doit rester souple, sans structures intermédiaires, tourné vers l’action. Il se ronge les ongles, et, griffonnant un cahier, s’agace doucement : « Le prenez pas mal, mais vous ne proposez que des solutions de vieux partis. » Un « insoumis » s’énerve : « Certains se disent “socialistes insoumis”, “communistes insoumis”, c’est quoi ça ? » tandis que la référente d’un groupe d’appui décoche sa petite flèche : « La marche du 23, je la remets pas en question, mais ça nous est tombé dessus comme ça. Et ça peut pas toujours descendre d’en haut… »
Dans la salle, les « insoumis » lisent « Fakir », le journal satirique de François Ruffin. Deux jeunes électeurs d’Asselineau sont venus « faire leur dépucelage chez LFI » (sic), un autre a quitté Nouvelle Donne, le parti de Pierre Larrouturou, il y a quelques mois. La moyenne d’âge dépasse les 40 ans. Il y a là un professeur de français, un responsable associatif, une ingénieur à la retraite, un agent commercial, un chercheur en biologie… Certains ont milité au PCF, plusieurs sont à la CGT, les plus loquaces ont encore leur carte au Parti de Gauche, ce parti fondé par Mélenchon que la plupart de ses membres veulent désormais dissoudre. « LFI, PC, CGT, Sud, ça fait quand même une bonne bouillabaisse », résume un salarié de l’aéronautique, syndiqué chez Sud. Faudrait pas la gâcher! « Mélenchon a les avantages d’un parti sans les inconvénients : la vie démocratique interne et ses aléas, estime un dirigeant communiste national. C’est pour cela qu’il est si réticent à le structurer davantage, il veut garder son objet. »
MA CRAVATE POUR UN ROYAUME
Quand ses jeunes et fringants députés ont proposé de marquer leur différence en entrant dans l’Hémicycle, au premier jour, sans cravate, le sénateur que fut Mélenchon n’a pas partagé l’enthousiasme de ses troupes. La République vaut bien une cravate! Mais il a fini par se ranger à leurs arguments et par enlever la sienne. Décrocher un groupe d’élus, au soir du deuxième tour des législatives, a été un bonheur. « J’ai fait mon job, j’ai un groupe, je peux arrêter dans cinq ans », a-t-il glissé à l’oreille d’un vieil ami, avec cette théâtralité qu’on lui connaît. « Le jour où il a quitté le PS, se souvient cet ami, il était inquiet, me disant : “Ce que nous représentons [le courant de gauche et son héritage trotskiste] ne doit pas s’éteindre avec notre génération.” » Aussi est-il rassuré, en regardant les jeunes qui siègent à ses côtés. Adrien Quatennens, Ugo Bernalicis, Mathilde Panot… Il les fait monter en première ligne, pour montrer que l’ambition de gouverner n’est pas la lubie d’un homme seul.
La geste mélenchonienne fonctionne par chapitres : en 2012, c’était « le bruit et la fureur », en 2017 « l’instituteur du peuple », autant de mots qu’il posait pour marquer les esprits. Maintenant, il voudrait être « le recours ». Vingt ans après l’avoir mis sous les yeux d’un jeune militant nommé Alexis Corbière, il a recommandé au député du Nord Adrien Quatennens le même livre : la biographie de Louis XI par l’Américain Paul Murray Kendall, parue en 1975. Ce roi n’était pas bel homme, il n’aimait pas les Grands du pays mais il aimait le peuple. Victime d’une tenace légende noire, longtemps éclipsé dans les livres d’histoire par François Ier, Louis XI a été reconnu grâce à Kendall comme l’un des plus grands hommes d’Etat français. Parfois, Mélenchon évoque sa mégalomanie.