L'Obs

Macron-Merkel, une idylle à confirmer

La lune de miel de “M&M” touche à sa fin : le 24 septembre, après la réélection probable de la chancelièr­e, Paris et Berlin vont devoir se mettre d’accord sur le fonctionne­ment de la zone euro

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Au début de toute chose, il y a un charme... » Ce 15 mai, à Berlin, la chancelièr­e allemande couve du regard le tout nouveau président français en citant l’écrivain Hermann Hesse. C’est leur première conférence de presse commune. Elle a mis sa pimpante veste rose bonbon pour accueillir, tout sourire, le nouveau Bonaparte, qui s’est envolé pour la capitale allemande quelques heures à peine après son investitur­e. Elle ne boude pas son plaisir de recevoir un président français « séduisant », et qui, surtout, met l’Europe au coeur de son programme. Mais attention, car il y a justement un « mais ». « Le charme ne dure que si les résultats sont là », précise immédiatem­ent la chancelièr­e en retrouvant son petit air pincé. Traduction, notre idylle naissante ne saurait su re à chasser les nuages franco-allemands.

Tout le monde l’a vite constaté : Angela Merkel aime bien Emmanuel Macron. Elle l’avait déjà remarqué lorsqu’il secondait François Hollande à l’Elysée. « Elle est fascinée par ce personnage hors norme qui cumule, contrairem­ent à ses prédécesse­urs, un talent fou, une audace extraordin­aire et une chance incroyable », s’extasie-t-on dans son entourage. Certes, elle appréciait Jacques Chirac et ses baisemains. Mais, avec Macron, elle a che ouvertemen­t son a ection. « Regardez son “body language” : elle l’adore », remarque un grand patron allemand. « Ils se cherchent du regard quand ils arrivent dans une pièce, ils se passent des petits mots pendant les conseils, ils s’envoient des sms », raconte un ministre européen qui s’amuse de ce qu’il appelle leurs « papouilles ».

Leurs époux, Brigitte et Joachim, deux enseignant­s de la même génération, s’entendent aussi très bien. Merkel a déjà dit aux Macron qu’elle aimerait organiser un dîner à quatre sur les bords de la Baltique pour manger du hareng. Plus sérieuseme­nt, les deux responsabl­es ont adopté une méthode de travail très allemande, avec des listes de tâches à accomplir qu’ils tiennent à jour à chaque rencontre, pour s’assurer qu’ils produisent les « résultats » chers à la chancelièr­e.

Depuis cinq mois, il n’y a quasiment pas eu une semaine sans que Macron et Merkel ne se parlent ou ne se voient. Donald Trump tourne le dos à l’accord sur le climat ? Macron appelle aussitôt Merkel avant même de parler au président américain. Kim Jong-un fait des siennes ? La ligne de la chancelièr­e sonne à nouveau. Et leurs équipes les imitent. « Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu autant d’idées, d’analyses, de propositio­ns circuler entre les deux capitales », assure Nathalie

Loiseau, ministre chargée des Affaires européenne­s.

Avec Nicolas Sarkozy, avec François Hollande, le courant passait bien plus mal. Le premier fatiguait Merkel par son agitation (« Monsieur Blabla », le surnommait-elle) et sa propension à la prendre par l’épaule. Quant à Hollande, il l’a déçue. Traumatisé par l’échec du référendum sur la Constituti­on de 2005, il s’est révélé, selon elle, un chef d’Etat paralysé.

Oubliés, « Merkozy » et « Merkolland­e », la presse allemande a baptisé aussitôt le nouveau couple « M&M ». Cette fois, Paris et Berlin vont faire jeu égal, veut-on croire. « Il n’y a rien de plus faux que de prêter à l’Allemagne des visées hégémoniqu­es. Angela Merkel désire que l’Europe reparte », constate la très germanophi­le Sylvie Goulard, qui a été l’éphémère ministre des Armées du président français.

L’alignement des planètes n’a jamais été aussi favorable pour relancer l’Europe. Le 24 septembre, la chancelièr­e va probableme­nt être réélue confortabl­ement (les sondages donnent la CDU à 37%) et quelle que soit la coalition qu’elle sortira de son chapeau, celle-ci sera pro-européenne. En face d’elle, son partenaire français cumule les avantages. Elle n’en revient pas qu’il ait emporté la victoire face à Marine Le Pen avec un discours européen. « Pour la première fois, elle a affaire à un président post-Maastricht : personne ne se demande ce qu’il a voté lors du référendum de 1992 : il n’avait pas 18 ans ! », s’amuse un proche de la chancelièr­e. Et à la différence de ses prédécesse­urs, Macron a les coudées franches pour agir : une période de quatre ans de stabilité s’ouvre et sa majorité n’est pas divisée sur les questions européenne­s. « Avec une Turquie qui dérive, des Anglais qui déconnent, des Américains dont on ne sait plus si on peut leur faire confiance et un Poutine macho-militaro, la France et l’Allemagne se retrouvent seules face à une responsabi­lité historique », juge le même Allemand.

“ÇA VA GRINCER”

Mais certains se méfient de ce jeune Français un brin arrogant. « Laissons-le venir », murmurent-ils dans les ministères berlinois. Ils n’oublient pas que les ambitions d’Emmanuel Macron pour l’Europe ne sont pas tout à fait celles d’Angela Merkel. Et comme dans « Le train sifflera trois fois », l’heure de vérité approche. « Ça va forcément grincer dès cet automne », prédit un diplomate. Le 26 septembre, deux jours après les élections allemandes, Macron compte présenter ses solutions pour « refonder l’Europe » : la pierre angulaire de son mandat, un chantier sur dix ans. Ses propositio­ns, il les a déjà esquissées, notamment dans le discours qu’il a donné à Athènes le 7 septembre : pour que la zone euro cesse de faire diverger ses pays membres, juge-t-il, il faut « inventer une gouvernanc­e forte, un budget de la zone euro, un responsabl­e exécutif et un Parlement pour cette dernière ». Il entrouvre la question tabou de la mutualisat­ion des dettes, qu’il n’exclut que pour celles « du passé ». Aussi les Allemands sont-ils sur leurs gardes. Macron sait qu’il doit se méfier du ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qui fait la pluie et le beau temps sur la politique économique outre-Rhin. Celui-ci n’est pas hostile à l’idée d’un ministre des Finances et d’un Parlement de la zone euro, mais il entend avancer dans le cadre du Mécanisme européen de Stabilité, le dispositif de gestion des crises financière­s. Pourquoi ? Parce que l’Allemagne y garde un droit de veto. Quand au Parlement, il veut qu’il ne soit que « consultati­f ». Selon lui, la solidarité ne saurait être obligatoir­e. Le contribuab­le allemand ne doit pas se retrouver avec sur les bras des dettes que d’autres pays seraient incapables d’honorer. « La propositio­n de Schäuble casserait la logique communauta­ire. Elle est très dangereuse. Mais Merkel ne le suit pas forcément », juge un proche de Macron. Avant d’abattre ses cartes, Macron a entrepris d’amadouer la chancelièr­e. Pendant la campagne, il lui a envoyé des signaux amicaux. Au lendemain de l’attentat qui a frappé Berlin le 19 décembre 2016, le candidat d’En Marche ! chante ses louanges dans « le Monde » : « La chancelièr­e Merkel et la société allemande dans son ensemble ont été à la hauteur de nos valeurs communes ; elles ont sauvé notre dignité collective en accueillan­t des réfugiés en détresse, en les logeant, en les formant. » Merkel s’en souviendra, d’autant qu’elle a peu goûté

les critiques de Manuel Valls. Le 16 mars 2017, lorsqu’elle reçoit Macron pour la première fois en tête-à-tête, et pendant une heure et quart, elle lui dit combien elle a apprécié son soutien. Elle a même demandé à ses conseiller­s de recenser toutes ses déclaratio­ns sur les réfugiés. Macron vient de marquer un point. Il sait que Merkel fait de la politique d’asile sa priorité, alors que lui n’a qu’une obsession : réformer la zone euro.

OPÉRATION SÉDUCTION

L’opération séduction a été peaufinée pendant la campagne, avec trois idées fortes. D’abord, élargir l’approche française, pour sortir de la confrontat­ion stérile. « Il a eu l’intelligen­ce d’avancer une vision bien plus large que la seule question de la gouvernanc­e de la zone euro, raconte Sylvie Goulard, il a mis l’accent sur des thèmes chers à l’Allemagne : sécurité, réfugiés, climat, démocratis­ation des institutio­ns. » Tout cela permet de « créer un contexte favorable avant d’entrer dans les questions plus difficiles de la zone euro », confirme-t-on à l’Elysée.

Ensuite, partir du principe que seule la France sera force de propositio­n. « Il ne faut pas attendre que l’Allemagne soit motrice, elle ne l’a jamais été. L’Allemagne doute toujours un peu, elle est plus lente que nous pour des raisons institutio­nnelles, sans parler du tempéramen­t prudent de la chancelièr­e », commente un proche d’Emmanuel Macron. Pour être plus convaincan­t, le président a placé à des postes clés des ministres germanophi­les, comme Edouard Philippe à Matignon ou Bruno Le Maire – un ami de Schäuble – à Bercy. Les ministres de l’Economie ont d’ailleurs déjà commencé à échanger sur l’avenir de la zone euro. Et vendredi dernier, le Premier ministre était à Berlin pour préparer le terrain des négociatio­ns futures.

Enfin, montrer que la France est sérieuse. Macron ne cache pas que c’est pour amadouer Berlin qu’il a sciemment entamé son mandat par « des réformes dures », comme les ordonnance­s travail et par des coupes budgétaire­s. Et il ne cesse de rappeler que, pour faire avancer l’Europe, chaque gouverneme­nt doit agir au niveau national, ce que l’Allemagne apprécie.

Tout cela n’allait pas de soi : l’obsession de plaire au grand partenaire voisin a suscité des frottement­s au sein de l’équipe de campagne. « Nous étions divisés. Plusieurs d’entre nous, notamment chez les économiste­s comme Jean Pisani-Ferry ou Philippe Martin, pensaient qu’il fallait tout de suite se montrer ferme face à l’Allemagne, dénoncer ses excédents commerciau­x, marquer le fait que les réformes devaient passer avant le respect des 3% de déficit budgétaire », raconte un des compagnons de route du candidat. Le dilemme a été tranché par ce dernier : « Je suis le seul candidat pro-européen, c’est mon identité », déclare-t-il à ses amis. Dès la fin juin, le nouveau Premier ministre Edouard Philippe s’engage fermement à respecter les 3%. Tant pis s’il faut retarder les bouffées d’oxygène prévues pour doper l’économie. Les économiste­s pressés ont été écartés du pouvoir. Certains tenteront de revenir à la charge le 24 juillet, lors d’un dîner secret à l’Elysée, mais en vain.

LE PACTE IMPLICITE

Le 13 juillet, les médias ne parlent que de l’arrivée de Trump sur les ChampsElys­ées, prévue le lendemain. Pas étonnant que le conseil franco-allemand organisé ce matin-là passe à peu près inaperçu. Pourtant, il marque un tournant.

Dans la matinée, douze quotidiens allemands et « Ouest France » ont publié une interview du président français. En réponse à une question, ce dernier provoque l’Allemagne vertueuse : « Une partie de la compétitiv­ité allemande est due aux dysfonctio­nnements de la zone euro », déclare-t-il. Il ajoute que « l’Allemagne doit bouger ». Le conseil franco-allemand s’achève sur un succès : « On a avancé sur d’importante­s questions, sécurité, armements, recherche et développem­ent, formation profession­nelle… », raconte l’ambassadeu­r allemand en France Nikolaus Meyer-Landrut. Puis arrive la conférence de presse. Angela Merkel ne fait aucune allusion aux commentair­es du président français dans son interview. Soulagemen­t à Paris, comme si un pacte implicite était désormais scellé : « Elle ne s’est pas cabrée. On a compris que l’idée qu’il faut corriger les dysfonctio­nnements de la zone euro était désormais ancrée dans les deux pays. »

Mais la partie est loin d’être gagnée. La démocratie allemande est plus complexe que la « monarchie » française et, selon toute vraisembla­nce, Merkel n’aura pas de majorité absolue au Bundestag. Tout va donc se jouer dans les deux mois qui vont suivre l’élection allemande, lorsque la chancelièr­e va entamer les tractation­s avec les autres partis pour former la nouvelle coalition gouverneme­ntale. C’est la couleur de cette coalition qui déterminer­a la réaction allemande aux propositio­ns françaises.

Le scénario le moins favorable pour le président français serait une alliance noire-jaune entre les chrétiens conservate­urs de la CDU et les libéraux du FDP. Le leader de ces derniers, Christian Lindner, 38 ans, est de la même génération que Macron, mais ses positions sont très éloignées des siennes : opposé à un budget de la zone euro, il rejette toute solidarité entre pays, s’est déclaré pour une sortie de la Grèce, demande qu’en cas de dépassemen­t du plafond de 3% de déficit public des sanctions s’appliquent automatiqu­ement... En revanche, un attelage noir-vert (CDU et Verts) ou une reconducti­on de la grande coalition entre la CDU et les sociaux-démocrates du SPD, plus enclins à le suivre dans ses projets, ferait l’affaire des Français. Mais après deux mandats de mariage, le SPD pourrait préférer s’offrir une cure d’opposition. Dernière possibilit­é, une coalition « jamaïcaine » (CDUFDP-Verts), où les écolos pourraient contrebala­ncer les libéraux.

En tout état de cause, Macron entend peser dans les négociatio­ns du programme de coalition du prochain gouverneme­nt allemand. C’est pour cette raison qu’il va abattre son jeu dès le lendemain de l’élection. « La fenêtre de tir est courte pour convaincre, pas plus de deux mois », commente une ancienne conseillèr­e de François Hollande.

A l’approche du jour J, Macron cherche encore à détecter « quels sont les points de sensibilit­é personnels » de la chancelièr­e pour mettre toutes les chances de son côté. « Tiendra-t-il bon sur l’euro ou s’écrasera-t-il piteusemen­t comme François Hollande ?, s’interroge un diplomate. On ne sait pas encore ce qu’il vaut dans la confrontat­ion. » Etre un remarquabl­e stratège ne fait pas forcément de vous un bon tacticien.

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