L'Obs

Edmond Maire, un esprit libre

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU

C’est un peu une histoire de la gauche qui se clôt avec la disparitio­n d’Edmond Maire. Un peu de celle de notre journal aussi, avec lequel l’ancien secrétaire général de la CFDT avait noué un compagnonn­age intellectu­el et amical autour de Jean Daniel, et avec ceux qui se revendiqua­ient d’un authentiqu­e réformisme, comme Pierre Mendès France, Jacques Delors ou Jacques Julliard. Les uns et les autres divergeaie­nt parfois sur la méthode, mais jamais sur l’objectif : transforme­r le réel plutôt que fantasmer sur un renverseme­nt de l’ordre établi. « Réformer c’est-à-dire re-former, c’est transforme­r l’existant et donc l’imaginer autrement », écrira-t-il en 1999 dans un ouvrage au titre évocateur de ce que fut sa vie, « l’Esprit libre ».

On ne naît pas réformiste, on le devient. Au terme d’une vie dédiée au syndicalis­me et marquée par dix-sept ans de règne sans partage à la tête de sa centrale, Edmond Maire aura parfois surpris par ses virages et ses recentrage­s. Lui qui commence son cheminemen­t politique dans les volutes autogestio­nnaires du PSU de Michel Rocard se déclare au début des années 1970 « socialiste et révolution­naire ». La feuille de route de la CFDT tient alors en trois mots : planificat­ion, nationalis­ation, autogestio­n. A Besançon, des ouvriers de Lip rêvent de prendre en main la destinée économique et sociale de leur usine. Edmond Maire entraîne son syndicat aux avant-postes de leur combat, dont il mesure toutefois rapidement les limites.

L’ancien laborantin, qui déclarera des années plus tard ne plus croire à « la vieille mythologie de la grève », s’en expliquera d’ailleurs dans son livre : « Si la contestati­on n’est que résistance, elle ne peut influer sur l’avenir. »

Partisan farouche de l’autonomie syndicale, vis-à-vis de l’Eglise d’abord puis vis-à-vis des partis politiques, Edmond Maire marquera son mandat par son indépendan­ce d’esprit. Sa pratique du pouvoir, sur le mode de l’avantgarde éclairée, déroute parfois ses amis, comme en 1977, lorsqu’il décide de faire de la négociatio­n la pierre angulaire de la centrale cédétiste. Ses rapports se tendront plusieurs fois avec le Parti socialiste, sur lequel il ne cessera jamais de porter un regard critique. En 1999, dans nos colonnes, il fustige ainsi durement la loi sur les 35 heures de Martine Aubry, emblématiq­ue selon lui d’une gauche « jacobine, centralisa­trice et étatique ». « On pense que l’objectif est bon, qu’il y aura des résistance­s, mais puisqu’on est au pouvoir, on décide quand même d’imposer », se désole-t-il alors. Autant de propos qui résonnent aujourd’hui…

Edmond Maire croyait au dialogue social dans la mesure où celui-ci permettait d’impliquer toutes les parties. Il rêvait de voir émerger en France « un syndicalis­me de transforma­tion sociale » puissant et responsabl­e, capable de regarder la réalité en face. Trente ans après son départ de la tête de la centrale, la CFDT est devenue le premier syndicat dans le secteur privé. Mais son combat pour le réformisme est encore loin d’être fini.

“SES RAPPORTS SE TENDRONT PLUSIEURS FOIS AVEC LE PARTI SOCIALISTE, SUR LEQUEL IL NE CESSERA JAMAIS DE PORTER UN REGARD CRITIQUE.”

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