L’édito de Jean Daniel
Deux éminents confrères qui sont aussi des amis et même d’anciens collaborateurs du « Nouvel Observateur » viennent de se livrer à une polémique vigoureuse sur un sujet qui ne cesse d’être d’actualité depuis une vingtaine d’années.
Il s’agit d’un débat qui est censé séparer les « islamophiles » des « islamophobes ». Selon Jacques Julliard, trop d’intellectuels font preuve d’indulgence à l’égard de nos concitoyens musulmans qui s’abandonnent à un islamisme plus ou moins totalitaire. Pour Laurent Joffrin, au contraire, nos intellectuels sont de plus en plus nombreux à surestimer les dangers des dérives de l’islam, deuxième religion de France.
Après cette polémique, on les a vus tous deux se rejoindre sur le fait qu’il y a des défauts et des dangers dans les deux camps. On peut, d’un côté, être prévenu contre l’islamisme sans croire que les musulmans sont à l’origine de tous nos maux. Mais, d’un autre côté, cela n’empêche pas que l’on puisse s’alarmer du « manque de discrétion », selon l’expression de Jean-Pierre Chevènement, des théoriciens prédicateurs de l’islam conquérant.
Discussion donc plutôt banale, mais qui peut trouver une nouvelle urgence dans la mesure où elle a séparé pour des raisons différentes nos meilleurs universitaires Gilles Kepel et Olivier Roy. Il se trouve qu’à la fin des fins ces grands chercheurs se rejoignent dans le simple bon sens : sans l’islam il n’y aurait pas d’islamisme, mais le terrorisme est loin d’avoir des origines uniquement religieuses.
Julliard et Joffrin se souviennent sans doute des thèses qu’ils ont défendues dans « le Nouvel Observateur ». Mais ils ont tendance à s’en attribuer chacun le seul mérite, alors que, sur ces questions, notre hebdomadaire a précédé tous les débats par la vivacité des positions et l’autorité des partenaires.
Avant que ces amis nous rejoignent, nous avions élaboré avec Edmond Maire, qui vient de nous quitter, et d’autres syndicalistes chrétiens une façon de « vivre ensemble » avec les musulmans de France.
Il est d’autant plus important de le rappeler ici car, à mon avis, notre analyse demeure la seule pratique raisonnable dans une situation de plus en plus grave. Elle consiste d’abord à constater que des millions de musulmans sont parmi nous, et qu’ils sont destinés à y rester.
Soyons clair. Le plus simple pour vivre avec les musulmans serait d’adopter la recette que la France a eu le mérite d’utiliser pour construire une nation, d’abord avec les protestants, ensuite avec les juifs : respecter jusqu’au bout la diversité, à savoir l’adoption ferme et sans concession de la laïcité. Enfin et surtout ce que nos responsables n’arrivent décidément pas à comprendre, c’est que le seul moyen d’intégrer la religion musulmane, c’est d’organiser une aide massive et visible à tous les réformateurs de l’islam.
Aucune autre solution (intervention dans les rites, lutte contre le radicalisme, augmentation des interdictions…) n’a jusqu’à maintenant donné la moindre preuve de réussite. Autrement dit seuls les musulmans peuvent réformer l’islam et nous permettre de vivre avec lui sans tension ni appréhension avec eux. Or je ne vois nulle trace d’une telle préoccupation dans les échanges de nos amis.
“LE SEUL MOYEN D’INTÉGRER LA RELIGION MUSULMANE, C’EST D’ORGANISER UNE AIDE MASSIVE ET VISIBLE À TOUS LES RÉFORMATEURS DE L’ISLAM.”