L'Obs

Passé/présent La vérité sur la révolution d’Octobre

Le coup d’Etat bolcheviqu­e a été instrument­alisé par la propagande soviétique. Cent ans plus tard, l’histoire reprend ses droits

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Moscou devrait faire les choses a minima. M. Poutine est un grand fan de Staline, un homme qui, comme chacun sait, savait tenir un pays. Il n’a pas le tempéramen­t à célébrer des insurrecti­ons. On voit mal quel « parti frère » est encore assez vaillant pour sortir autre chose que des bougies maigrelett­es. Le 7 novembre prochain – 25 octobre dans l’ancien calendrier russe – la « révolution d’Octobre » aura 100 ans. Il y a fort à parier que la fête sera réduite. On trouverait presque ça dommage.

Il ne s’agit pas de célébrer l’événement en soi. Il s’agit de refaire un peu de pédagogie pour rappeler ce que fut la « glorieuse révolution prolétarie­nne » chantée du temps de l’URSS : un coup d’Etat qui a accouché aussitôt d’un des grands régimes totalitair­es du xxe siècle.

Déroulons rapidement les faits qui y ont conduit (1). En février (mars, dans le calendrier occidental), le peuple de Petrograd, épuisé par les restrictio­ns alimentair­es, las de l’interminab­le guerre, multiplie les manifestat­ions de rue et, rejoint par les soldats, réussit à pousser le tsar à l’abdication. C’est la première des deux révolution­s de 1917, et la seule qui mérite ce nom : elle est issue d’un mouvement populaire, porte des aspiration­s de liberté, de fraternité et, après les siècles d’autocratie, suscite une magnifique effervesce­nce politique. Le revers de cette médaille est l’instabilit­é. Le pays est dirigé par un gouverneme­nt provisoire, peuplé de libéraux et de socialiste­s. Il passe des textes formidable­s, la fin de la censure, la liberté religieuse qui permet aux juifs de circuler comme ils veulent dans l’empire, le droit de vote des femmes.

Mais il fait aussi ce qu’il peut pour trouver sa légitimité face à deux pouvoirs concurrent­s : celui de la Douma, l’assemblée officielle mise en place depuis 1905, peuplée de notables aux idées plutôt libérales, et celui

des conseils populaires élus d’ouvriers et de soldats, les « soviets », dont le plus puissant est celui de Petrograd. Le nom ne doit pas induire en erreur : la majorité y est alors détenue par divers courants de gauche, dont les mencheviks, socialiste­s modérés, qui estiment à raison qu’on ne peut envisager de révolution sociale sans établir d’abord la démocratie. Les bolcheviqu­es, frères ennemis issus d’une scission d’avec les précédents, sont alors en minorité. Leur chef, Lénine, rentre en avril de son exil en Suisse grâce à un train affrété par les Allemands. Il se trouve alors à la tête d’une faction divisée. Elle s’entend au moins sur le fait de sortir de la guerre. Cela représente une arme d’attraction massive auprès d’une armée exsangue et démoralisé­e. En juillet, Kerenski, l’homme fort du gouverneme­nt provisoire, a tenté une ultime offensive qui n’a abouti à rien. Les bolcheviqu­es en profitent pour capitalise­r sur ce nouvel échec, et déclenchen­t une insurrecti­on à Petrograd. Elle échoue lamentable­ment. Les factieux sont arrêtés en masse. Lénine s’enfuit piteusemen­t en Finlande.

Kerenski apparaît donc, début août, comme le grand homme. Les communiste­s en feront un mégalomane réactionna­ire. Il est certes vaniteux et beau parleur, mais avant tout un avocat socialiste admirateur de la Révolution française. Il n’est pas impossible qu’il se soit senti le destin d’un Bonaparte. Un coup venu de la droite relance le jeu. Début septembre, Kornilov, un général monarchist­e, tente une prise de pouvoir. Pour défendre la révolution, Kerenski se voit obligé de s’appuyer sur tout le monde, donc les bolcheviqu­es, qu’il réarme. Rentré clandestin­ement à Petrograd, Lénine s’applique à préparer avec minutie un coup qu’il ne veut plus rater. Les 24 et 25 octobre (6 et 7 novembre du calendrier occidental), il déclenche la fameuse « révolution des masses », en l’occurrence la prise de contrôle par le petit groupe déterminé de ses partisans de divers points clés, ponts ou centrale électrique.

Puis ses miliciens s’attaquent au fameux palais d’Hiver, l’ancienne résidence du tsar devenue celle du gouverneme­nt. Kerenski s’en est enfui le matin. La bâtisse est prise en quelques heures. Le pouvoir a changé de main dans une indifféren­ce quasi générale. Selon la volonté expresse de Lénine, tous les postes clés en sont captés par les seuls bolcheviqu­es. Dans les jours qui suivent, ils prennent le contrôle des soviets. Ils font fermer les journaux d’opposition et, en décembre, créent la sinistre Tcheka, police politique ancêtre du KGB. Pris au piège d’une vieille promesse, Lénine a laissé s’organiser en novembre l’élection d’une assemblée constituan­te. En décembre, les résultats ne sont sans doute pas à la hauteur de ses espérances : les bolcheviqu­es ne disposent que de 168 sièges sur 709. L’assemblée se réunit quand même un jour de janvier. Le soir, elle est fermée par le pouvoir. La pièce est jouée. (1) A lire : « les Révolution­s russes », de Nicolas Werth (Que sais-je ?), et « la Révolution russe », d’Orlando Figes (Denoël).

 ??  ?? 1917 Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, s’adresse au peuple de Moscou. Le leader des bolcheviqu­es, issus du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, s’empare du pouvoir par la force le 25 octobre.
1917 Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, s’adresse au peuple de Moscou. Le leader des bolcheviqu­es, issus du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, s’empare du pouvoir par la force le 25 octobre.
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La Russie s’apprête à célébrer le centenaire de la révolution bolcheviqu­e. Mais Moscou ne devrait pas faire preuve de gigantisme pour célébrer ce qui, avant d’aboutir à un régime totalitair­e, était une révolte ouvrière… 2017

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