L'Obs

Les lundis de Delfeil de Ton. Les mots croisés

Où l’ont voit qu’il ne faut pas s’arrêter aux différence­s futiles

-

Il y en a qui font fort dans le fait divers. Vous allez voir. La scène se passe en Angleterre. Dans la prison de Long Lartin. La cellule abrite trois condamnés à de longues peines. L’un des trois sera la victime des deux autres. Présentons-le d’abord.

Il s’appelle Brett Rogers. Il est âgé de 25 ans. Son métier, ou plutôt son travail, c’était laitier avant qu’il n’ait tué sa mère et son amant. La mère avait 56 ans, il l’a frappée à la tête 41 fois. L’amant, qui avait 60 ans, c’est 56 coups qu’il a reçus, à la tête également. A son procès, pendant qu’un expert témoignait, il a agressé sous les yeux du juge les deux policiers, un homme et une femme, commis là pour qu’il se tienne tranquille. C’est ce qui lui manque, la tranquilli­té.

Le plus jeune des compagnons de cellule de Brett Rogers s’appelle Billy White. D’à peu près son âge, il a 24 ans. Un âge où tout peut encore vous arriver. A 22 ans, dans la banlieue de Londres, pendant que sa copine dormait dans leur lit, il l’a tuée en la frappant à la nuque. Elle aussi, tout pouvait lui arriver. Il a fallu que ce soit ça.

Le second compagnon est d’une autre génération. Il s’appelle Gary Lindley. Il a 42 ans. Lui n’est pas un assassin. Son père, si. Vingt ans plus tôt, ce père a étranglé une fille qui n’en avait pas encore vingt, des ans, et qui était sa maîtresse. Gary Lindley a aussi un demi-frère qui a tué un gars dans une histoire de trafic de drogues mais lui, redisons-le, n’a tué personne. S’il est en prison, c’est qu’au cours d’un cambriolag­e, il a fait preuve d’une violence exacerbée, laquelle, par chance, ne l’a pas conduit au meurtre. Ce n’était que partie remise et maintenant nous allons voir comment.

Billy White et Gary Lindley sont commis au nettoyage dans la prison. Ils y vont à fond. En prison, des hommes se révèlent. Ils s’étaient mis à aimer le propre, le net, nettoyeurs dans l’âme, en fin de compte. Brett Rogers, qui avait tué sa mère, qui avait tué l’amant de sa mère, était à leurs yeux la proie du démon. Le démon l’empêchait de trouver le repos dans sa prison. Ils en parlaient entre eux quand il n’était pas à leur côté.

Le lecteur n’a pas manqué d’observer qu’aussi bien pour eux-mêmes que pour leur entourage, la solution des problèmes passe souvent par l’usage d’une certaine brutalité. Huit jours avant de tuer Brett Rogers, White et Lindley s’étaient mis d’accord qu’il fallait le libérer de la nuit dans laquelle il tournait en rond. Pour cela, il fallait le tuer. Devant la Cour royale de Worcester, ils s’en sont clairement expliqués. Le mieux aurait été, alors que tous trois s’adonnaient à l’ivresse du cannabis, que le coup porté à sa nuque par White fût mortel. Il n’a pas été mortel, Lindley l’a achevé en l’étou ant sous un oreiller.

Le juge le savait bien, avant d’ajouter une condamnati­on à leurs condamnati­ons précédente­s, mais il a voulu le leur entendre dire : qui leur a sou é cette solution à la sou rance de leur ami?

« Dieu », répondiren­t-ils d’une seule voix. Une fois que Brett Rogers a été mort, avec un marqueur d’encre, ils ont dessiné le signe du yin et du yang sur sa joue, puis, ensemble, Billy White, le chrétien, et Gary Lindley, le musulman, ont prié. D. D. T. Post-scriptum qui n’a rien à voir. Mort d’André Campana. Les vieux téléspecta­teurs se le rappellent, il présentait des émissions pas bêtes à l’époque où il n’y avait que trois chaînes, toutes publiques. Un jour, c’était en 1984, le photograph­e Arnaud Baumann publiait « Carnet d’adresses », un album qui montrait ses amis à poil. Parmi eux, Campana, en compagnie de sa femme et de ses enfants. Des cafards placardaie­nt la page dans les ascenseurs de la télévision. Le sympathiqu­e Chirac, programmé pour un entretien, se décommanda­it, ne souhaitant pas, n’est-ce pas, se commettre avec pareil individu. Campana avait perdu ses émissions. Images de la saloperie ordinaire. So long, Campana.

Ils ont dessiné le signe du yin et du yang sur sa joue.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France