L'Obs

Diplomatie Poker menteur à l’Unesco

Qui sera le prochain directeur général des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture? Entre les candidats , une guerre feutrée où tous les coups sont permis se mène sur les cinq continents

- Par CÉLINE LUSSATO

O n dit que le Qatar a acheté les voix jusqu’au troisième tour. » « C’est la Chine qui a mis le plus d’argent sur la table cette année ! » Loin des ors des réceptions feutrées dont est coutumière l’Unesco, la course à sa direction générale est pavée de soupçons, d’obscurs marchandag­es, de tentatives de

corruption et de calomnies. Oubliées, les missions fondamenta­les des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture… Les candidats et leurs lobbyistes se concentren­t depuis des mois sur les moyens d’arracher les promesses de vote des 58 Etats membres du conseil exécutif de l’institutio­n qui voteront du 9 au 13 octobre. Et tous les coups semblent permis.

Sept candidats sont toujours en lice à une semaine du scrutin. Dont la Française Audrey Azoulay, qui a déclenché la fureur des pays arabes lorsqu’elle a déposé, le 15 mars dernier, son dossier de candidatur­e. L’initiative de la ministre de la Culture de François Hollande, une candidate jugée sérieuse, est contestée par ces Etats qui estiment, depuis trois scrutins, que le poste qui ne leur a jamais été octroyé leur revient. La fille du conseiller du roi du Maroc, André Azoulay, a fait l’objet d’une violente campagne de déstabilis­ation. Ainsi, les Egyptiens ont tenté de convaincre le président Emmanuel Macron de se désolidari­ser de cette candidatur­e. En vain. « Dans ces temps où l’Occident s’inquiète de la montée du fondamenta­lisme, qui mieux qu’un ressortiss­ant du monde arabe pourrait diriger l’Unesco? », argumentai­t début juillet dans un café parisien l’écrivain égyptien Mohamed Salmawy. Une meilleure candidatur­e que celle d’une Européenne qui se trouve être de confession juive ? L’ancienne ministre de la Culture, cible d’une campagne bien plus virulente que celles menées contre les candidats vietnamien ou chinois, s’est vu, en effet, reprocher sa judéité par ses détracteur­s, qui n’ont pas hésité à dénoncer une candidatur­e « déplacée » à l’heure du « tour des Arabes ». Au point que le grand rabbin de France Haïm Korsia a cru devoir prendre sa défense publiqueme­nt sur les réseaux sociaux.

Calomnies, rumeurs et marchandag­es traversent les continents dans les bagages des candidats en campagne. « Comme ils me redoutent, les Egyptiens affirment partout qu’ils ont négocié avec Beyrouth mon retrait dès le second tour, qu’il ne sert donc à rien de voter pour moi. Ils l’ont demandé, certes, mais mon gouverneme­nt leur a dit non catégoriqu­ement!», raconte Vera el-Khoury, la candidate libanaise, réputée pour sa droiture. Non seulement les sept candidats ont présenté leurs projets sur les cinq continents, mais chacun a profité de la machine diplomatiq­ue de son Etat pour convaincre. Promesses à la clé! Postes au sein du cabinet du directeur général, programmes de l’Unesco dans le pays offrant sa voix, investisse­ments directs même, parfois. Certains évoquent des offres sonnantes et trébuchant­es qu’on leur aurait faites, en échange de leur vote. Car l’élection se fait à bulletins secrets et, en dehors de leur honneur, rien n’empêche les ambassadeu­rs ou délégués permanents de ne pas respecter la consigne donnée par leur capitale. Cèdent-ils tous à l’appât du gain? « On nous fait des offres, certains doivent les accepter mais bien sûr personne ne s’en vante, raconte l’ancien membre d’une délégation sud-américaine. En 1999, lors de la campagne qui élira Koichiro

LA FRANÇAISE AUDREY AZOULAY A DÉCLENCHÉ LA FUREUR DES PAYS ARABES LORSQU’ELLE A DÉPOSÉ SON DOSSIER DE CANDIDATUR­E.

Matsuura, une consoeur est arrivée, choquée, dans mon bureau. On venait tout bonnement de lui proposer un chèque. »

Dix ans plus tard, la question sera évoquée dans les correspond­ances diplomatiq­ues américaine­s rendues publiques dans les WikiLeaks. « Un membre de la délégation américaine a remarqué un homme transporta­nt une forte somme d’argent en liquide dans une enveloppe au siège de l’Unesco. Plusieurs Etats membres se sont plaints au directeur général d’une atmosphère d’intimidati­on », peut-on lire dans le câble qui suivit l’élection d’Irina Bokova.

Mais que valent les promesses de vote dans ces circonstan­ces ? Du côté azerbaïdja­nais, on ne se fait guère d’illusions quant au maintien du soutien du grand frère russe au-delà du premier tour, malgré les assurances de Moscou. Quant au Maroc, s’il a promis, dit-on, sa voix au Qatar, Paris espère qu’au dernier moment il glissera un bulletin français dans l’urne…

Cette année pourtant, comme lors des précédente­s campagnes, les membres du conseil exécutif sont au centre de toutes les attentions des pays candidats. Une délégation était d’ailleurs l’invitée de l’Emirat du Qatar mi-septembre. « Combien de représenta­nts vont se laisser acheter ? s’interroge un diplomate occidental en poste auprès de l’Unesco. Les enjeux diplomatiq­ues sont finalement plus déterminan­ts que l’argent pour le vote. Même s’ils ne sont pas toujours beaucoup plus propres. »

« La diplomatie est aujourd’hui une question d’argent, les Etats votent en fonction des investisse­ments économique­s, regrette une ancienne membre de délégation d’un Etat arabe à l’Unesco. Qui vote en fonction de la compétence du candidat ? On dit même que la Grèce, membre de l’Union européenne, ne votera pas pour Audrey Azoulay mais pour le Chinois ! » La deuxième économie mondiale est devenue un investisse­ur clé en Grèce. Au point qu’Athènes a empêché l’UE de dénoncer les violations répétées des droits de l’homme en Chine lors du dernier conseil des droits de l’homme de l’ONU, mettant son veto au texte des Vingt-Huit. Mais pourquoi une compétitio­n si acharnée pour ce poste à la tête d’une institutio­n qui semble parée d’un pouvoir plus symbolique que réel ?

« Les Etats qui poussent des candidats cherchent souvent à redorer leur blason, c’est une affaire de communicat­ion pour eux », estime un ancien haut fonctionna­ire de l’Unesco, consterné de voir les pays d’origine des favoris du scrutin. C’est ainsi que, sans s’embarrasse­r de scrupules, la Chine, le Vietnam, le Qatar, l’Egypte ou l’Azerbaïdja­n postulent pour la direction générale d’une maison dévouée à la protection du patrimoine en danger, au développem­ent durable ou à la défense de la liberté d’expression.

Pourtant, ce pilier onusien vit un tournant. Privée des fonds américains (22% de son budget, alors) depuis l’admission de la Palestine en 2011, l’Unesco agonise. De plus en plus de pays suspendent le versement de leur contributi­on. Ainsi, à l’approche de la Conférence générale de 2017 le montant total des arriérés dépasse les 650 millions de dollars, soit presque l’équivalent du budget ordinaire biennal de l’organisati­on. Dépendante des cotisation­s volontaire­s des Etats qui viennent compléter les quotes-parts obligatoir­es, elle est désormais instrument­alisée par les capitales qui conditionn­ent ces versements à leurs ambitions politiques. « Il faut faire rentrer de l’argent. Certains candidats l’ont compris qui promettent de ne “pas venir les mains vides”, comme Hamad al-Kawari, du Qatar. Mais il ne faut pas que l’Unesco dépende des versements d’un seul Etat qui déciderait alors seul des orientatio­ns de l’institutio­n », s’inquiète un diplomate occidental. Le risque est grand de voir se politiser davantage encore une maison déjà gangrenée par les luttes diplomatiq­ues.

Au grand dam des défenseurs de l’Unesco, ce sont surtout les polémiques que porte en une la presse internatio­nale. Dernière en date, la résolution adoptée le 5 mai dernier en conseil exécutif qui présente Israël comme « puissance occupante » et nie, selon l’Etat hébreu, le lien historique entre Jérusalem et les juifs. « Une situation impensable avant le mandat de la directrice générale sortante. Jamais cette résolution n’aurait dû arriver au vote rédigée de cette manière », estime un haut fonctionna­ire de l’institutio­n. Les programmes de l’Unesco ont toujours été soumis aux tensions entre les pays, mais l’institutio­n savait alors résister à l’instrument­alisation. « Il m’est arrivé de parvenir à travailler sur des projets avec des Arméniens et des Azerbaïdja­nais, évoque avec nostalgie un haut fonctionna­ire. L’Unesco mérite mieux que de servir les intérêts de quelques-uns. »

 ??  ?? Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture, aux côtés de Jack Lang, et Irina Bokova, directrice de l’Unesco, à Paris en mars 2017.
Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture, aux côtés de Jack Lang, et Irina Bokova, directrice de l’Unesco, à Paris en mars 2017.
 ??  ?? Hamad al-Kawari (Qatar) M o u s hi r a K h t t a b ( E g y p t e ) Verael-Khoury(Liban)
Hamad al-Kawari (Qatar) M o u s hi r a K h t t a b ( E g y p t e ) Verael-Khoury(Liban)
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